« Je dis !… mais La Vigue qui reçoit ! regarde ! »

Je reregarde… La Vigue receveur… il tabasse pas !… c’est Caron !… avant La Vigue y en a eu d’autres ! bien d’autres !… ils ont levé le pied tous ! des vovous ! oui ! tous ! je lui fais raconter… tous ! Caron avait eu que des déboires !… ils y avaient secoué vingt ! cent sacoches !… le genre de cloches qu’il avait eues !… n’importe qui de dessous les ponts !… « Interpols et Cie » !… maintenant il voulait que du sérieux, des gens sûrement qui resteraient… il pouvait compter sur Émile !… La Vigue aussi et Anita… il avait massacré Émile, il le reprenait en semi-vivant… et tout dévoué à sa machine !… jamais, jamais, ils voyaient le jour, les uns ni les autres !… La Publique, larguait juste à l’aube !… le moment de leur grand affairement !… terrible !… terrible ! le moment que Caron arrivait !… sonnait ! à la ronde !… tous !… ceux qu’avaient pas payé… d’abord !… et les autres après ! payeurs !… pas payeurs !… tout le monde servi !… confitures de tronches !… massacrerie à la rame !…

Question du costume, je dois dire, y avait que La Vigue qui faisait drôle… les deux autres, Émile, l’Anita, auraient pu parfaitement se montrer.

« Alors tu dis ça resquille pas ?… il est affreux ? »

Ma manie maintenant les ronds… j’ai pas assez pensé aux ronds… le malheur de ma vie d’avoir pensé à tout autre chose… je pense à Achille, aux autres milliardaires… ils ont jamais pensé qu’aux ronds !… ils sont heureux… regardez à l’Épuration, vous aviez des ronds, ça allait !…

« Ah ! tu causes !… et qu’il leur fend la gueule en plus !… n’importe lesquels !

— Pas ceux qui douillent ?

Je lui fais répéter…

« Non ?… que ça le gêne !… tu les entendras » !… tu resteras ! »

Dans le genre j’avais vu bien des trucs mais là tout de même c’était un petit peu raffiné !…

« Les riches comme les pauvres ?

— Et alors ?… vrang ! brang ! riches !… pauvres ! les mères ! les mômes dans les bras ! brang : il leur sort la tête ! si ça vole !… tu vois la rame ?… là !… sa rame ! »

Je l’avais vue !… du Quai au haut de la cheminée… posée là !… quelque chose !… un outil !… bien plus longue que la passerelle…

« D’abord il leur casse le crâne !… puis leur godille dans la tête !… en plein !… je t’ai dit ! ” Il les réveille ” qu’il appelle !… il te le fera aussi !… il leur écume les idées !

— Alors ?

— Alors !… alors !… plus de pataquès ! ils retournent chez eux !… ou ils aboulent ! tu les entendrais beugler !

— Ici ?… là ?…

— T’es fou !… pas ici !… après Ablon !… Villeneuve-Saint-Georges !… »

Je voulais pas poser trop de questions… par là qu’ils allaient ?… le passage « outre-là » alors ?… après Choisy ?… tout ça était bien fabuleux… la massacrerie… et le reste !… et les renseignements d’Émile… mais l’odeur ?… la certaine odeur… je pouvais pas contredire l’odeur… l’odeur que vous vous trompez pas… surtout moi !… moi, dirais-je… qu’ai fait vingt-cinq ans de « constats » !… Agar reniflait… reniflait tous ces êtres… un par un… mais basta qu’il gueule ! pas un ouaf !… lui qu’aboye d’une feuille, là-haut, chez nous, qui tombe… là, rien !… le muet total !… des gens donc, pas ordi-naires… et bien une odeur !… et la rame ?… je la regardais encore cette rame… une masse que rien que pour l’empoigner, Caron pas Caron, il fallait une force !… et pour la soulever !… un monstre !… une force hors nature !

J’avais encore des questions… m’attardant j’allais être victime !… la curiosité !… bien des questions !… juste au moment l’usine siffle !… la relève aux « tours »… une heure du matin… et un autre sifflet… plus long… d’un remorqueur, celui-là… il demandait Suresnes… il annonçait combien de chalands… l’écluse…

Tout ça était bel et beau mais si le colosse à la rame me piquait ici ? glandouillant ?… ce que ça donnerait ?… fol de rire avec ces loustics ?… qu’il me montre, moi aussi, sa façon !… que je remonte là-haut tout morpion ?… en sorte de mi-araignée ? comme Émile ?… concassé comme !… brisuré !…

Oh ! c’était pas à s’endormir !… réfléchir… oui !… méditer… mais foutre le camp ! même moi là, très diminué très avachi, presque knockout, je me rendais compte… c’était pas à rester du tout !… d’abord et d’un !… ce bateau-mouche La Publique, juste en bas de chez nous ? et tous ces pèlerins à odeurs ?… et Le Vigan et les deux autres ?… oh ! surtout La Vigue !… l’admirable La Vigue !… « Salissez pas Ferdinand !… il est plus patriote que vous ! » Ses paroles exactes lors de la « Très Haute Cour des haines » !… et lui, en menottes !… tout debout devant ! pas en coulisses, ni au bistrot, ni au milk-bar, ni aux Quatzarts !… lui seul !… au Conseil de l’Inquisition !… qu’il s’agissait de lui faire avouer, qu’il clame haut, fort !… qu’il me charge, que c’était moi tout son malheur !… pas un autre ! le plus pire fumier de vendu traître qu’il avait connu !… de tous les pourris des Staffels, micros, journaux, clandestins, tueurs… moi !

Je vous raconte comment les choses se sont passées, historiques !… bien ! mais là par exemple au quai c’était pas le moment de prendre racine !… bigre bougre ! non ! bizarreries ?… dérouilleries ?… salut !

« La Vigue !… dis donc !… je reviens tout de suite !… je suis chez ma malade ! »

C’était vrai… pour Mme Niçois que j’étais descendu !… elle devait s’être un peu réveillée…

« Tu vois sa fenêtre ? »

Je lui montre… du quai on la voyait très bien… les volets ouverts… la seule aux volets ouverts…

Moi qu’ai pas beaucoup peur de rien j’avais pas envie d’insister… peut-être que ce dénommé Caron était qu’une attrape ?… faribole ?… mais cette rame-là ?… je la voyais la rame ! peut-être que tout était qu’un piège ?… tendu pour moi ?… ça serait beaucoup !… on imagine… on retourne les choses… et les allées et venues ?… ces êtres ?… mistoufle aussi ?

« Tu vois la fenêtre ?… la première au coin… la maison marron ! je fais que monter, redescendre !… je te ferai signe !… mais dis : je parle pas ! je raconte à personne !… »

Je veux le rassurer ! ah ! si je les fais rire ! qu’ils s’esclaffent ! mes chichis !… tous les trois ! je les fais se tordre !… en plus ils m’engueulent !

« Fausse vache ! plouc ! barre-toi, eh godiche !… calte ! lâche pas ton lion !… con ! »

Comme ça, moi Agar !… la colère que je reste pas !

« Saloperie ! boudin ! vaurien !… vas-y, baver ! ehl vas-y donc ! traître ! traître ! »

Pour eux aussi traître !… je vais pas laisser ! leur clou !

« Chienlits ! frimands !… chancres ! puanteurs ! »

Du tic au tac !

D’un seul coup la fâcherie est complète ! les trois !… que je m’en aille !… ils acceptent pas… La Vigue non plus acceptait pas… ah ! j’étais touché !… fâcher La Vigue !… les autres à leur aise !… mais La Vigue ! oh ! j’allais faire demi-tour !… remonter sur leur bateau-mouche !… leur expliquer ! et de tout près ! qui qu’était le plus héros des trois !… zut !… ils abusaient des circonstances !… un moment aussi, je sors des gonds !… La Vigue même !… le plus sympathique !… faudrait qu’il se rende compte ! j’y ferai ravaler son « boudin » ! pardon !… pardon !… sombrero ! caballero ! j’y ferai me respecter !… comme je suis ! comme ça !… haut les cœurs !… j’y ferai ravaler ses éperons !… Le Vigan ! pas Le Vigan ! déjà une autre fois à Siegmaringen on s’était expliqué pareil ! Messieurs, mesdames ! une trempe !… dans la neige !… en pleine neige ! et pourquoi ?… je savais plus… Ça serait bien un peu que je vous explique… Siegmaringen… une autre fois !… vous explique bien, avant que les mensonges s’y mettent… mensonges et véroles et punaises !… racontars de gens qui jamais y foutirent les pieds ! voilà !… promis !…

Maintenant là sur ce quai une chose ! il m’a traité !… ils m’ont tous traité !… mon Agar aussi ! pas que moi !… de caniches ! boudins ! myriapodes !… surtout La Vigue ! et de dingue !… quel droit ? j’allais lui redresser les allures moi, La Vigue !… aux trois d’abord ! dressage des trois !

« Provocateurs !… valets de charognes ! »

Je commence !… qu’ils sachent !… je montais pour les corriger… mais une pichenette… ils me foutaient à l’eau !… tout ce que je gagnais !… je tenais plus debout… c’était mieux que je riposte de loin !… à reculons même !…

« Vous êtes baths aux œufs ! choléras ! »

La voix ça allait !… je m’entendais d’écho en écho… jusqu’au pont d’Auteuil ! l’eau porte !… tout de même c’était mieux de s’en aller… c’était pas des individus à rien comprendre… et Lili devait être plus qu’inquiète !… des heures que j’étais descendu !

Donc, je brise avec ces hurluberlus ! « salut ! grossiers ! » je m’en vais à reculons ! je me méfie !… qu’ils me lancent un javelot !… ou la rame !… à reculons ! tout le « Sentier des Bœufs »… je monte à reculons… qu’ils tirent ?… je les quitte pas de l’œil… ils me traitent de tout !… moi de même !… il est tout en enfilade le « Sentier des Bœufs » ! Moi qui ai horreur des scandales !

« Coloquintes ! volubilis ! hé ! clématites ! »

« Clématites » les déconcerte… ils savent plus… tout d’un coup : « Excrément » ! ça revient ! ils reprennent !… tout doit s’entendre jusqu’à Bellevue ! jusqu’au bois… Saint-Cloud… toute la vallée… vous vous rendez compte !… je recule en remontant… d’un coup je recule plus ! rrouah ! rrouah ! un de ces grognements ! là contre moi ! pas un écho ! une rage ! un chien !… oh ! pas Agar !… non !… un autre !… je regarde : Frieda !… Frieda qui farfouille… la chienne à Lili… la chienne vraiment fouineuse hargneuse, elle en a après quelque chose… dans le fourré…

« Ah ! te voilà ! »

Lili me cherchait.

« C’est pas après moi que ta chienne grogne ? »

Elle me répond pas… c’est elle qui me demande.

« Où étais-tu ?

— Chez Mme Niçois ! tu le sais bien !

— Si longtemps ? »

Je m’arrête de reculer… nous sommes déjà presque chez nous… je crie tout de même…

« Crougnats !… colibris !… fauvettes ! »

Vers en bas… vers la berge !… je tiens au dernier mot… mais cette sacristi de Frieda hargne… râle… arrête pas !…

« Après quoi elle grogne ?

— Après Dodard !…

— Dodard !… Dodard !…

— Elle va le retrouver tu crois ? »

C’est notre hérisson, Dodard… vraiment un gentil animal… mais carapateur ! il tient pas en place !… et que je te trotte !… mille pattes !… vous l’avez partout !… un trou !… sous une branche !… une autre !… c’est Frieda la retrouveuse de tout… Dodard doit être sous une racine… Frieda va retourner le jardin !

Les autres, en bas, funeste équipage, se tiennent pas pour dit ! caboches qu’ils sont !

« Glaïeul ! »

Ils m’hurlent… ils m’appellent…

« Fais taire Frieda !… elle le retrouvera pas ! »

Frieda fouine creuse sous un fusain…

« Pourquoi tu cries ?

— La Vigue est en bas !… c’est lui qui déconne !… dis, lui et l’Émile !… « charogne » qu’ils me traitent !… ils en sont pleins eux, de charognes ! leur morue !… une Anita ! » Qu’elle sache un peu ! elle me contredit !… « Laisse La Vigue tranquille ! il est en Amérique, voyons ! »

Toujours elle a été sceptique, même de ce que je lui prouve, Lili… surtout depuis le Danemark… que le Danemark… m’a pas réussi !… j’allais pas lui raconter qu’il y avait un bateau en bas ! et un bateau-mouche ! plein de fantômes !… et que nos voyous étaient dessus…

Je sors de perplexité… un de ces aboiements ! ouah ! ouah ! ah ! ça c’est Agar !… l’Agar s’y met ! Frieda avec ! et en même temps !… « Ils l’ont retrouvé ! il est là ! » Lili la joie ! Dodard retrouvé !

« Tu retourneras demain ! »

Elle insiste.

« Il est là !… tiens !… ils l’ont ! »

Oui, c’est Dodard, elle le ramasse… il sort pas ses piques, il nous connaît… Lili le prend… bon !… on remonte… on l’emporte…

« Tu verrais La Vigue en gaucho ! »

Je peux dire ce que je veux… « oui ! oui ! »… elle me laisse… je peux toujours prétendre ceci !… ça ! pour elle La Vigue est là-bas ! là-bas au bout du monde ! et c’est tout !… les choses entendues, raisonnables… bien !… et moi qui déconne !… une fois pour toutes ! que je suis mal foutu ? si je le sais !… Pas que depuis le Danemark ! si je le sens ! la tête, le cœur, les vertiges !… un peu, oui ! il me passe moins de frissons… oui ! mais question vertiges !… les murs en godent ! je dis rien !… le principal : Lili… je laisserais Lili, elle se rend pas compte, toute seule contre les gens que je connais… la meute !… combien qu’elle pèserait ? ayants droit, héritiers, parents, éditeurs !… là alors, les vrais cha-rogniers dépeceurs champions ! autre chose que les chienlits d’en bas !… et leur rafiot « tout trous » pourri !… peur aux moineaux !… fisc, héritiers, éditeurs… pardon !… ah ! Lili elle pèserait lourd !… elle et le Dodard et toute la meute !…

« À la fourrière !… »

Moi là toujours, je rêve pas du tout, il gèle ! je suis secoué !… de quoi ?… la fatigue ?… le quai ?… aussi j’ai bien trop parlé !… peut-être ?… je grelotte de quoi ?… on remonte tout doucement ! Lili porte Dodard… moi je m’occupe des chiens…

Pardon ! pardon !… au fait, les choses !… de ma plume !… pas le récit n’importe quel !… pas à se demander quoi ? quès ? non ! là !… de ma propre main !… le document !

 

 

Ça n’avait l’air de rien du tout… une petite fantaisie fluviale… un bateau drôle… les gens dessus… mais zut !… les frissons !… me voilà pris d’une manière !… que je m’allonge… je faisais l’idiot là grelottant, suant… bien pire que Mme Niçois !… oui !… je comprends tout de suite… l’accès !… c’est un accès !… aucun doute… au début de l’accès vous savez ce qui vous arrive, après vous battez la campagne… ça fait bien au moins vingt ans que je suis tranquille… c’est l’effet du froid d’en bas, du Quai… je me méfiais aussi !… tant pis pour moi !… le zef de la Seine !

Lili me demande ce qu’elle doit faire… oh ! bigre ! rien du tout !… me laisser tranquille !… le médecin, à moins que les clients l’aient complètement rendu idiot, a qu’une idée… qu’on lui foute la paix ! enfin !… on sait ce que c’est que le paludisme… c’est pour la vie et puis c’est tout !… vous prenez le « frisson solennel » !… et vous saccadez votre lit ! qu’il crie ! craque !… vous allez d’accès en accès !… réglé comme papier à musique !… vous savez, et puis c’est tout !… grelotterie d’abord ! et d’un !… et puis tout de suite… déconnage !… ah ! à gogo, je m’attendais à bien déconner !… vingt ans sans accès !

« Fais pas attention, Lili ! »

Je la préviens… oh ! mais demain ? Mme Niçois !… certes !… son pansement !… non !… après-demain !… non !… dans trois jours !… je redescendrai, c’est entendu !… je la reverrai cette La Publique et son cargo de polichinelles !… bien sûr ! bien sûr !… et je te le dérouillerai leur Caron ! j’en ferai qu’une carpette, ce Caron ! mi-panthère mi-singe !… soi-disant ! oh ! là ! là !… pas ouf qu’il fera !… qu’il pipe leur Caron !… c’est même très extraordinaire la façon qu’il m’implorera ! ce soi-disant ! j’y casserai sa rame sur le blaire !… d’abord ! d’un ! là !… rrrac ! je me vois ! sa colossale ! ouah !… ouah ! mille miettes !… fétu, son énormité ! un fétu ?… non !… deux ! trois ! quatre ! maintenant là je sens comme je suis fort !… comme tout le page en clinque ! pique ! grince ! houle !… la force que je déploie !… je sais… je sais… la belle histoire ! pas d’hier !… depuis le Cameroun ! j’aurais dû le dire à la Réforme !… avec 20 ou 3o pour 100 de plus je serais un petit peu mieux doté qu’avec strictement mes blessures ! je ferais du 13o pour 100 ! le moins !… je travaillerais pas à vous faire rire ! pour régaler encore l’Achille ! et toute sa clique « faux enculés » !… quelle honte ! ah ! les bateliers de la Volga !… mais ils ont gagné, bateliers ! la preuve !… yeutez un petit peu les postères des moindres Commissars !… postères d’Archevêques !… tutti quanti ! quand tous les fellahs du Nil auront des postères pareils, d’Archevêques, vous pourrez dire que ça ira ! le rêve des peuples, terre entière, postères d’Archevêques ! bides de Commissars !… Picasso ! Boussac !… Mme Roosevelt !… nichons avec !… soutiens-gorge ! tous !

Je me demande là… même dans mon état, moite et grelotte, ce que peut foutre Achille avec ses cent millions par an ?… cash ! dans les derrières ?… des petites morues ? ou son cercueil ?… il peut drôlement se le faire orner, marqueter, son super-cercueil !… capitonner tout soie bleu ciel festons résilles larmes d’argent… et pour sa tête ? le polochon d’Éternité !… duvet d’or et roses pompons !… il sera mimi Chapelle ardente… éternel Achille ! enfin son vilain œil clos !… son horrible sourire ravalé !… il sera regardable, mort.

Je me divertis… je fanfaronne !… foutre : j’illusionne ! je passerai avant lui !… je travaille, j’hâte ma fin !… lui, il se repose, le fin mot de la gérotechnique : foutre rien, et laisser les autres !… sécurit ! maquereau !… pour ses morues ! pour son cercueil ! de gré ou de force, je porte au moulin !… à sa meule ! et je tourne ! « Eh youp ! bourrique ! » je transpire, je me tue… lui regarde !… il se ménage… forcé qu’il dure plus longtemps que moi !…

Vous verriez pour un peu B !… K !… Maurice !… s’ils seraient drôlement communisses à ma place !… à tourner la meule pour Achille !… si leurs derrières auraient fondu !… si ils seraient un peu plus décents ! proses et bajoues !… en l’air ! gaines nylon ! soutiens-gorge !… oh ! chers Archevêques-Commissares !… damnés du fias !… tout d’accord ! vous les avez forcés de s’asseoir ? Table du peuple ou Table Saint-Esprit ? et vous les voyez décupler… porcs de Concours c’est leur nature, n’importe quelle table !., votre sadisme !… vous êtes pas en remords ? en larmes ?… ça vous fait rien ?… tels destins tragiques ? formidables martyrs ? voués à plus de panne ? toujours plus de panne !…

Voilà !… voilà !… je batifole ! je vise l’effet ! je vais vous perdre… et le pansement de Mme Niçois ?… où ai-je la tête ? ce qu’il me reste de nénette ?… la fièvre ! la fièvre, entendu !… mais le pansement de Mme Niçois ? la nuit !… tout à la nuit !… grelotte ! grelotte ! mais que s’effondre ce foutu page ! je le branle assez ! craque !… je dis !… je le secoue de paludisme !… plein accès !… la colère avec !… et ce qu’ils m’ont dit, hurlé d’en bas !… « glaïeul ! » de leur pourri bateau de voyous !… ils ont osé !… « trouillard ! » aussi ! et « viens-y donc ! »… bien sûr, j’irai !… dix fois plutôt qu’une !… et tout seul !… ils me reverront !… l’indignation que je bouille ! je me sens en fusion !… je le brûlerai ce page ! j’ai attrapé la « fusion » au Cameroun 1917 !… ils verront voir ce qu’ils verront ! je prends mon pouls !… la fièvre monte encore ! à 4o°je rassemblerai !… le moment des idées !… blablafouilleries ?… peut-être ?… je m’emmêle… mêle… le Bas-Meudon… Siegmaringen… oui !… mais Pétain ?… ah ! il l’avait belle le Pétain !… il avait le statut « Chef d’État » !… kif Bogomolev ou Tito !… Gaugaule ou Nasser !… seize cartes d’alimentation !… Laval… Bichelonne… Brinon… Darnand… avaient moins !… seulement chacun six… huit cartes… bien moins gâtés !… tout de même nous, une !… zut !… flûte ! ministres, pas ministres, Chefs d’État ! Injustice est morte !… crounis tous ! morts d’Injustice ! et pas bellement !… chichis, protocole, que ce fut !… je vous amuse, je sors plus des défunts !… où je me tourne… défunts !… défunts !… y a plus qu’Achille qu’est là, qu’attend.

Minute !… phénomène avancé, j’ai pas fini !

Je voudrais que le lit croule !… que j’y ouvre une brèche ! une voie d’eau !… que je m’enfonce avec sous les ondes ! je transpire… ruisselle…

« Tu ne veux rien ?

— Non… non… mon mignon !

Je ne veux jamais rien, moi… je refuse tout… ni un baiser… ni une serviette !… je veux remémorer !… je veux qu’on me laisse !… voilà ! tous les souvenirs !… les circonstances ! tout ce que je demande ! je vis encore plus de haine que de nouilles !… mais la juste haine ! pas « l’à peu près » !… et de la reconnaissance ! pardon !… j’en déborde !… Nordling qu’a sauvé Paris a bien voulu me tirer du gniouf… que l’Histoire prenne note !… on est mémorialiste ou pas !… voyons ! voyons !… en bas ?… au quai ?… La Vigue ?… il était bien en gaucho ? en bas ? receveur et gaucho… Le Vigan receveur… que je sache ! que je me souvienne exactement ! et c’est tout !… fièvre pas fièvre ! l’exactitude !… qu’Achille ou Gertrut me refusent mon œuvre ?… que j’aie menti ? pardon !… qu’ils me réfutent que c’était pas à Siegmaringen oui ! alors ? en panne ?… et qu’au quai, j’ai rien vu du tout !… pas La Publique !… ni les fantômes !… que La Vigue était pas gaucho !… pas de sombrero !… qu’il portait un énorme turban ! je le sais bien, foutre ! l’énorme turban !… j’y ai arraché dans la bataille !… et dans la neige !… au fait, pourquoi on s’était battus ?… c’était un pansement son turban !… un pansement d’otite !…

La mémoire est précise, fidèle… et puis tout d’un coup est plus… plus là… joujou ! plus rien !… l’âge ! vous direz… non !… que je retrouve la Vigue ! et Siegmaringen !… et le Pétain et ses dix-huit cartes !… je les ai tous !… et Laval et son Ménetrel !… je les quitte plus !… et la Forêt Noire et le grand aigle !… vous verrez un peu ce que je veux dire ! cet Hohenzollern Château !… attendez !…

 

 

Je vais pas me décider dans la fièvre… Achille ?… Gertrut ?… ils sont aussi infects l’un que l’autre !… mais si ils se défilent ? possible !… l’un comme l’autre ?

Oh ! que j’étais bien décidé à plus rien écrire… j’ai toujours trouvé indécent, rien que le mot : écrire !… prétentiard, narcisse, « m’as-tu lu »… c’est donc bien la raison de la gêne… la seule !… pas candidat au Panthéon ! les petits vers les plus chers du monde ! Soufflot-goulus ! non !… la vanité m’houspille pas ! mais le gaz, les carottes, les biscottes… vous savez !… si j’ai risqué, si je me suis cuit ?… pour le gaz, les carottes, biscottes !… pour les chiens aussi, leur tambouille… le peu que j’ai écrit regardez ces haines !… ce qu’on m’en a voulu !… et encore !… jamais j’ai si bien ressenti l’horreur que j’étais pour le monde que les mois où ils m’avaient mis entre deux coups de réclusion, à l’hôpital Sonbye, Danemark, aux « cancéreux »… je tremble encore, mais jesuis certain de ce que je dis… pas douteux, nul imaginaire !… aux « cancéreux » du Sonbye, Copenhague, Danemark… et je vous assure que ça hurlait !… tout lits de cancers « très avancés »… j’étais là par sorte de faveur… tout de même mieux qu’à la Venstre… ah, et aussi pour rendre service… guetter les derniers soupirs… sonner l’infirmière… l’aider emballer le cadavre… qu’elle ait qu’à le rouler à la porte… et au couloir !…

Que c’est tout si perfectionné, si mirobolo-sanitaire, Copenhague Danemark, que c’est à se foutre le cul en mille… croyez pas un mot !… la condition du monde entier !… c’est-à-dire… c’est-à-dire : les femmes de ménage qui font tout !… responsables de tout et partout ! dans les ministères, dans les restaurants, dans les partis politiques, dans les hôpitaux ! les femmes de ménage qui ont le mot !… vous retournent un dossier, un article, un secret d’État, comme un agonique !… le monde dort… jamais la femme de ménage !… termites ! termites !… le matin vous trouvez plus rien !… votre agonique est en boîte !… Yorick ! pas d’alas !… s’ils peuvent hurler !… s’ils peuvent attendre !… morphine !… sondages ! là ! là !… moi qu’étais le « vigilant » de service !… le samaritain à la sonnette !… le dernier soupir ? glinn ! glinn ! envoyez ! un de moins !… l’Erna… l’Ingrid… m’arrivaient… bâillantes… roulaient le mec hors… je dis, je parle pas du tout en l’air… Sonbye Hospital, chef de service, Professeur Gram… fin clinicien !… subtil, sensible… oh, il m’a jamais dit un mot !… on ne parle pas aux prisonniers !… j’étais moi aussi, en traitement… je partais, moi aussi, en lambeaux… pas du cancer ! pas de cancer encore !… seulement de l’effet de la fosse, la cage, Vesterfangsel… j’invente pas la fosse… une vraie !… bien humide toute obscure, juste une certaine meurtrière, tout près du plafond… faites-vous montrer le pavillon K, Vesterfangsel, Copenhague… voyager n’est-ce pas ? c’est s’instruire !… tout est pas Nyehavn, Tivoli, Hôtel d’Angleterre !… vous risquerez rien en touriste !… l’avantage sur la prison, aux cancéreux, c’était qu’ils avaient pas de barreaux, ni de meurtrières… leurs fenêtres larges et hautes, donnaient sur une sorte de pré… les herbages du Nord sont blêmes… blêmes comme leur Ciel et leur Baltique… tout un hommes, nuages, mer, herbes… une certaine traîtrise… vous verriez facilement les fées… pas de question de fées aux « cancéreux » ! j’étais pas là pour invoquer… mais pour écouter les fins de râles !… pas réveiller Erna… Ingrid… trop tôt !… trop tard !… Gram y avait une chose, il me faisait confiance que je profiterais pas d’être là, sans menottes, et toutes les nuits si longues, pour foutre le camp… ç’eût été facile, mettons… mais ?… Lili resterait seule… et Bébert… et puis me sauver où ?… toutes les polices avaient ma fiche… je serais vite repiqué !… bourriques partout ! tous les pays du monde : bourriques ! l’homme encore plus que satyre, voleur, assassin, est par-dessus tout, plus que tout : bourrique !… la Suède en face ?… Malmö… parlez-moi z’en !… je ferais pas cent mètres ! réenchaîné pire !… souqué ! fond de cale !… et aux fifis ! la spécialité suédoise : les livraisons ! doute ?… tenez que je vous cite les noms de ceux qui se sont suicidés… à l’ambulance même ! là !… devant moi !… sous le falot !… ah ! « droit d’asile » ! j’aurais voulu voir Montherlant, Morand, Carbuccia, y tâter ! s’ils seraient toujours cocktailisants, immuns, mondains marles… s’ils auraient toujours leurs beaux meubles ?

Là, dans ma fonction la sonnette, un avantage, j’avais tout le temps de réfléchir… tous les agoniques, et dans mon service, dans mon cas, les cancéreux du pharynx, sont toujours assez bruyants… mais rien ne vaut que d’être soi-même condamné à mort, pour que presque plus rien vous gêne… je bronchais pas, je pensais, je pensais très clairement… pas dans la fièvre comme aujourd’hui… la pellagre vous gêne pour la vue, vous voyez trouble, mais vous gardez la fraîche nénette… l’impeccable bon sens ! tous mes agoniques tout autour, toute la nuit, deux salles entières… c’était simple ce qu’il m’arriverait si je retournais à Montmartre… ils me scieraient entre deux planches !… pris sur le fait ?… pas d’histoires ! entre deux planches !… pas compliqué ! j’étais prévenu qu’ils étaient en train de me secouer tout ! ma tôle ! vendre à l’encan !… et aux Puces !… bien se régaler… et à brûler tous les lits pour se faire du feu… dès lors, ce sachant, où j’allais me mettre ?… le grand assouvissement des vengeances !… oh qu’ils sont pas si fous qu’on pense les pires de féroces assassins !… madrés… prévoyants !… ficelles !… comment au plus fort du délire ils sont lancinés plus que tout par la sécurité bancaire, Laetitia !… la devise des plus pires terreurs, des plus exacerbés redresseurs, tortionnaires, creveurs d’œil et tout, coupe-burnes : « Pourvou qué ça douré ! » J’allais pas bouger du Sonbye tant qu’on me tolérerait en traitement !… vitamines… porridge… moi aussi : Pourvou qué ça douré ! J’avais perdu toutes mes dents… aussi presque cinquante kilos… je suis resté assez mince, depuis… la réclusion est pas bénigne… les hommes tiennent mal… allez pas penser de moi : le douillet ! le causeur !… là ! non !… Silence me va !… mais les trous de réclusion danoise sont vraiment pas du tout à tenir… même les experts très sévères, norvégiens, finnois, suédois sont d’accord qu’ils sont trop horribles… je voudrais y voir Mauriac, Morand, Aragon, Vaillant, et tutti, leur galoubet, après six mois ! ah ! Nobels ! Goncourts ! et frutti ! cette révélation !… et forte chiasse ! tout leur jean-foutrerie sous eux ! moi là je le dis, et je suis fier, le moral a toujours tenu ! le corps a cédé, j’avoue… parti par morceaux… lambeaux rouges… comme rongé… le mal de l’ombre et des « pontons »… ils pouvaient me mettre aux cancéreux, je surprenais personne !… les filles de salle… pellagre ?… cancer ?… c’était tout un !… elles s’attendaient qu’un moment, elles me roulent aussi au couloir… en attendant, que je rende service !… que je surveille finement les hoquets !… que je sonne ni trop tôt… ni trop tard !… que j’emballe le mort sur le chariot… après la toilette… et surtout tout ça en silence ! jamais un mot ! ni à la fille que je réveillais, ni aux confrères le lendemain… je restais là, en somme très fragile… toléré juste… utile mais pas fixe !… d’un rien, d’un mot, on me trouvait de trop…

Voilà, un matin je vois personne… plus une infirmière… les médecins passent pas… eux qui passaient si réguliers… ni une ni deux je me dis : ça y est !… dans les conditions très sensibles que vous y êtes total de votre vie, et pas au « pour », illico sonnant !… vous avez l’intuition directe, vous savez avant que tout arrive, implacable, que c’est pour vous pas pour un autre… la certitude animale… la connerie de l’homme dialectise tout, brouillami-nise…

Passent encore un jour et une nuit… personne me dit rien… je vois plus une fille de salle autour… un agonique mort… reste en plan, tel quel, sur le flanc, tout jaune, gueule ouverte… plus un interne… y a plus que moi et les râlants… j’ai eu beau tirer la sonnette des fois et des fois…

Tout de même quelqu’un !… pas une infirmière… un chauffeur !… dans le grand encadrement de la porte… je dis grande ouverte… immense !… à deux battants !… un homme que je connais… le même chauffeur qui m’a amené… oh ! pas un brutal !… un costaud bien calme… il est pas en « gardien de prison »… il est en « civil », tunique gabardine… en gabardine la même que moi, « modèle Poincaré »… je vous donne ce détail, il vous semblera peut-être futile… croyez pas ! croyez pas !… la circonstance !… corrects tous les deux !… plus que moi et lui dans les deux salles, et les crevards… plus une infirmière, plus un stagiaire, plus un interne,.. « Komm » ! il me fait… pas la peine !… je savais… il me ramenait au trou…

Je peux dire que j’ai bien des souvenirs pour une vie de miteux comme la mienne… et pas des pittoresques gratuits… des souvenirs payés ! même horriblement cher payés… eh bien là, de vous à moi, la circonstance me tient à cœur… ce chauffeur-là, me faisant « Komm ! » dans l’embrasure de la porte… ni brutal, ni rien… immobile, campé… qui me ramenait au trou… de l’autre côté de la ville… sans escorte… sans menottes… en toute confiance… en limousine… et que ça serait encore bien des mois… l’impression me demeure…

Des mois de trou pour vous c’est rien bien sûr… évidemment…

Ça a été bien des mois, en fait… qu’ils se décident s’ils me livreraient ?… me garderaient ?… l’article 75 au cul… tous les journaux de Copenhague absolument sûrs certains que j’avais vendu, on ne savait trop, mais au moins les défenses des Alpes… l’article 75 faisait foi !… ça a duré des années leurs réflexions en Haut-Lieu… s’ils me livreraient ?… s’ils me feraient crever en prison ?… à l’hosto ?… ailleurs ?

Tant que vous avez pas vu surgir le chauffeur civil des prisons dans l’embrasure de la porte vous avez rien vu…

Oh ! à présent ça va pas mieux !… pas beaucoup mieux… la preuve que j’écris pour Achille… ou pour Gertrut !… foutre des deux ! des dix !… des vingt !… sales satanés pingres bas de plafond… Celui qui voudra !… boyaux !

 

 

Norbert Loukoum, je le fais exprès, ça l’emmerde, je lui parle exprès du cabanon… il y a jamais été, pardi !… lui !… ni Achille !… Malraux non plus… Mauriac non plus… et le fœtus Tartre !… et Larengon !… la Triolette aux cabinettes !… comme ça toute une clique fins madrés !… l’élite « tourne-veste » !… qu’arrêtent pas de jouer les effrayants !… « Cocorico Rideau de fer ! »… superbazoukas !… bombes à l’Ouest !… pétards d’Est !… tonnerres partout !… et qui sont que des mous !… des « retraités » de naissance… dès après le biberon, la nourrice un peu langoureuse, le cher lycée, le petit ami de cœur, « l’emploi réservé ! » hop ! dix douze dépiautements, renfilements de chandails… ç’en est fait ! la forte pension Caméléon ! gagné !… pension « indexée » !… et la Promenade des Anglais !… un peu de pissotière… distinction !… l’Académie !… Richelieu !… les croûtons !… pas payeurs !… jamais !… payés toujours ! terminus au « Quai des Futés ! »… Coupole des rectums et prostates !… « Oh ! vous en êtes un autre, monsieur !… plus doux, plus sensible, plus profond licheur !… Apothéon !… »

Que Richelieu avait bien vu !… Mauriac, Bourget et l’Aspirine !… un moment donné de Décadence les pires frelons tournent drôlement rois !… Louis XIV devant Juanovice aurait pas pesé un demi-liard ! une « fuite » !

Vous froissez pas que je saute ci !… là !… zigzague et revienne !… cette drôle d’histoire de La Publique… vous y auriez été à ma place ?

« Tu trembles toujours ?

— Non… non… non… »

Un certain âge… 63 ans… vous avez plus qu’à dire : non !… non… et vous en aller !… courtoisie !… vous êtes en rab !… combien de fois on vous a désiré mort depuis soixante et trois ans ?… c’est pas à compter !… vous pouvez peut-être qu’on vous tolère encore quelques mois… un printemps ?… deux ?… ah ! mais d’abord avant tout ! bourré ! riche !… riche !… essentiel !… et que vous vous montriez plein de cœur pour vos héritiers !… le véritable Père Noël !… que vous leur donniez par testament, certitude olographe, notariée, cachetée, enregistrée que tout est tout pour eux !… tout pour Lucien !… rien pour Camille !… et que vous vous sentez vraiment mal ! que vous allez pas en faire un autre ! bout de souffle que vous êtes !… bout de pipe !… bout de tout ! que vous pouvez pas traîner ! la langue déjà bien pendante… bien surchargée, plâtre jaune et noir !… alors… alors… alors peut-être ?… on vous trouvera pas si tyran abject, effroyable rapace… pourtant l’unanime avis !… mais gafe à vous !… sursis, vous êtes ! essoufflez-vous !… crachez tout jaune !… boquillonnez !… si ils vous forcent à vous lever ?… butez !… croulez !… faites venir le prêtre… l’extrême-onction fait un de ces bien aux personnes qui n’espèrent qu’en vous !… qu’en votre dernier souffle !… c’est effrayant ce qu’un agonique peut briser les nerfs des familles !… cette cruauté d’en pas finir !… le sadisme des « derniers moments » !… extrême-onction, partie remise !… ah, combien vous rendez de gens fous, agoniques gnangnans !

J’en ai vu hoquer et partout, sous les tropiques, dans les glaces, dans la misère, dans l’opulence, au bagne, au Pouvoir, bardés d’honneurs, forçats lépreux, en révolution, en pleine paix, à travers les tirs de barrage, sous les averses de confetti, tous les tons de l’orgue de profondis… les plus pénibles je crois : les chiens !… les chats… et l’hérisson… oh ! l’impression de mon expérience !… pour ce qu’elle vaut !… j’ai pas recherché… croyez-le… les circonstances !… aucun plaisir ! je trouverais un soir Madeleine Jacob en plein cancer envahissant du ligament large, j’admets, je suppose… je serais pas comme Caron !… sûrement non !… à l’éventrer, écarteler, et la suspendre par sa tumeur à un croc… non ! qu’elle se vide complètement, en lapine pourrie… non !… sans aucune coquetterie putaine, « à la Schweitzer » ou l’« Abbé » non ! je peux dire et le prouver, je suis le charitable en personne ! même envers le plus pire rageur haineux… le plus pustuleux, tétanique… que même avec des pincettes, par exemple Madeleine, vous vous trouvez mal, qu’elle existe !… syncope de hideur ! moi là qui vous cause, vous me verrez vaincre mes sentiments ! peloter, mignoter la Madeleine ! me comporter le vif aimant ! ardent ! comme s’il s’agissait de l’abbé Pierre ! ou de l’autre apôtre… « Tropic-Harmonica-Digest ! »

Oh ! mais « derniers moments » ?… salut ! vite dit !… j’ai la fièvre !… Madeleine, Schweitzer et l’Abbé !…

Je les vois venir… entendu… ils sont ! Madeleine, Schweitzer et l’Abbé, je les reçois… oh ! pas du tout méthode Caron… je leur redéfoncerais pas le couvercle ! je les ferais pas re-re-remourir ! non !… vous allez voir moi ! tout le contraire !… tout douceur !… tendresse thébaïque !… morphine 2 c.c. !… que bigre !… Sydenham déclarait déjà (165o) qu’il guérissait tout ce qu’il voulait, toutes les maladies, avec quatre ou cinq onces d’opium… et alors ?… pour ça, je le dis à mes confrères, gaspillez pas votre opium ! la guerre peut venir, les restrictions… on vous promet ceci !… cela !… mais votre agonie ? c’est pas Blabla qui vous aidera !… plus tard !… oh ! bien sûr !… le plus tard !… quand vous passerez l’arme… votre provision là !… bien à vous !… chaque chose en son temps… la modération en tout…

Ma mémoire est pas modérée, elle ! vache !… elle agite… s’agite !… comme mon lit… et cette Mme Niçois donc !… qu’est-ce qu’elle m’a fait piquer comme crise !… son quai !… les frissons !… ce vent coulis !… la mort, j’aurais attrapée !… toutes ces âmes en peine !… et cette Publique ?… La Publique !… j’avais bien de quoi lui en vouloir cette vieille capricieuse à cancer !… zut !… ces bafouillages aussi au quai avec cet équipage d’apaches !… ramas d’olibris injurieux ! « glaïeul » qu’ils m’avaient appelé… glaïeul ! osé ! éhontés frappes !

L’Ambassadeur Carbougnat, tout aussi vychissois que Brisson, tout aussi doriotiste que Robert, les crises qu’il piquait, Excellence !… qu’on m’expédie pas à Vincennes !… si il le secouait son lit d’Ambassade, crise sur crise, de folie-fureur mordait ses Gobelins à pleines dents, d’une façon si alarmante qu’il allait bouffer l’Ambassade, de crise en crise, tout le mobilier et les dossiers ! tout y passait ! qu’il a fallu qu’on lui promette un poste « super-classe » ! l’autre hémisphère ! il devenait plus malade que moi !… de me sentir là, si près, tout près, Vesterfangsel… à bout de souffrir, qu’on m’empale pas !… que j’avais engueulé Montgomery !… et le Führer !… il prétendait ! et le Prince Bernadotte ! il écrivait de ces lettres aux Ministres baltaves !… des véritables ultimatums ! j’ai eu les copies de ces belles lettres…

Étant là maintenant dans la fièvre je tremble autant que lui ! et je mouille la literie… oh ! mais je débloque pas si tant plus que je me méprends de ce que j’ai été !… la pièce unique !… l’inouï chopin de la chasse à courre !… Gloire ! Vaillance ! Parfaite Larbinerie ! même encore maintenant là, tel quel, archi-chenu, croulant épave, je fais encore mon petit effet… la preuve par ma viande ! en ligne ! dans la ligne !… qu’on dévie pas !… qu’on me vire impeccable ! comme trente-six véroles !… de tout !… partout !… la seule vraie ordure : Ferdinand !

Et que je les ai vus tous s’y mettre !… amener leurs fias… si vaselinés… tout !… lécher toutes les burnes !.. que je sais tous les noms, les adresses… si bien que ceux de mes déménageurs et velléiteux assassins ! évidemment moi toujours là, crevard pas crevé… et que je connais tous leurs âges à tous !… leurs dates de naissance… je me les récite… leurs dates de naissance… je revois leurs grands moments heureux !… sous la botte !… je visionne !… ils seront mille fois pires… mille fois plus heureux le prochain coup !… qu’ils préviennent !… qu’ils ont déjà de ces positions !… je les vois !… je les vois ! après 39°vous voyez tout !… la fièvre doit servir à quelque chose !… j’ai la nature jamais rien perdre !… jamais !

 

 

Oui ! entendu !… après huit mois de trou… déjà ! je partais en lambeaux !… mais je vous l’ai dit et répété… zut !… je vous assomme !… eh ! foutre à présent, d’autres soucis ! d’autres respects !… d’autres courtoisies !… envers Achille d’abord !… et d’un !… lui et ses « revenants-bons » de maquereau… 90 millions par an !… saluez ! tout milliardaire qu’il est déjà ! l’archi-pourri ! une armée de larbins et larbines qu’arrêtent pas de lui passer des langues dans tous les trous et qu’il gémit pleure hurle torture ! martyre d’Achille ! que c’est pas assez ! les langues pas assez blabaveuses ! pas assez de pépites dans les livres ! le supplicié qu’il est !… que les scribouilleux de sa galère lui font une vie infernale !…

Maintenant dans la recession de fièvre… moins forte… je finis vraiment de déconner… délire ?… délire ?… réfléchir !… « le Destin c’est la Politique ! »… je veux ! l’avis de Bonaparte !… soit ! communisses ? communissons !… à l’Achille d’abord !… la branche à gauche !… qu’est-ce qu’il a donné pas qu’on le pende à la dernière Épuration !… qu’est-ce qu’il donnera à la prochaine !… plus que tout !… pont de Pontoise et l’Arc de Triomphe !… Mgr Feltin, Lacretelle, et tous les enfants de chœur en sus ! Lacretelle, mettons M. Robert, l’article 75 au prose, prousteraient-ils ? y diraient-ils mieux ?… ah ?… je vois le Loukoum, prélat s’il en fut !… tous les débiles mentaux pour lui !… sa molle tronche en forme de vagin, si… si préhensive ! si gluante !…

J’ai chaud encore… je migraine… excusez-moi !… non ! Loukoum serait encore plus insupportable que tous les puants de La Publique ! Caron le voyant renoncerait… pourrait pas y faire rien de violent !… de sa rame lui agiter le crâne ?… y faire réciter le divin Sade, à l’envers ?… peut-être ?…

Je sais… je sais… je l’ai loupé… Caron !… je restais une minute de plus je le voyais !… La Vigue, les autres, l’ont sûrement vu, eux !… l’excuse, je sentais venir la fièvre… et puis encore une autre excuse… je vous raconterai…

Là zut ! et chacals !… je pourrais moi aussi vous promener, avec d’autres personnes !… divaguer pour divaguer !… un plus bel endroit !… fièvre pas fièvre !… et même un site très pittoresque !… touristique !… mieux que touristique !… rêveur, historique, et salubre !… idéal ! pour les poumons et pour les nerfs… un peu humide près du fleuve… peut-être… Le Danube… la berge, les roseaux…

 

 

 

 

 

Peut-être pas encore se vanter, Siegmaringen ?… pourtant quel pittoresque séjour !… vous vous diriez en opérette… le décor parfait… vous attendez les sopranos, les ténors légers… pour les échos, toute la forêt !… dix, vingt montagnes d’arbres !… Forêt Noire, déboulées de sapins, cataractes… votre plateau, la scène, la ville, si jolie fignolée, rose, verte, un peu bonbon, demi-pistache, cabarets, hôtels, boutiques, biscornus pour « metteur en scène »… tout style « baroque boche » et « Cheval blanc »… vous entendez déjà l’orchestre !… le plus bluffant : le Château !… la pièce comme montée de la ville… stuc et carton-pâte !… pourtant… pourtant vous amèneriez le tout : Château, bourg, Danube, place Pigalle ! quel monde vous auriez !… autre chose d’engouement que le Ciel, le Néant et l’à Gill… les « tourist-cars » qu’il vous faudrait !… les brigades de la P.P. ! ce serait fou, le monde, et payant !

Nous là je dois dire l’endroit fut triste… touristes certainement ! mais spéciaux… trop de gales, trop peu de pain et trop de R.A.F. au-dessus !… et l’armée Leclerc tout près… avançante… ses Sénégalais à coupe-coupe… pour nos têtes !… pas les têtes à Dache !… je lis là actuellement tous nos « quotidiens » pleurer sur le sort des pauvres Hongrois… si on nous avait reçus comme eux ! tant larmoyé sur nos détresses, on l’aurait eu belle, je vous dis ! dansé des drôles de claquettes ! s’ils avaient eu au prose l’article 75 ces pathétiques fuyards hongrois Coty les garderait pas souper !… merde !… s’ils étaient simples Français de France il les ferait vite couper en deux !… en dix s’ils étaient mutilos ! surtout médaillés militaires ! la sensibilité française s’émeut que pour tout ce qu’est bien anti-elle ! ennemis avérés ; tout son cœur ! masochisse à mort !

Nous là dans les mansardes, caves, les sous d’escaliers, bien crevant la faim, je vous assure pas d’Opérette… un plateau de condamnés à mort !… 1142 !… je savais exactement le nombre…

Je vous reparlerai de ce pittoresque séjour ! pas seulement ville d’eaux et tourisme… formidablement historique !… Haut-Lieu !… mordez Château !… stuc, bricolage, déginganderie tous les styles, tourelles, cheminées, gargouilles… pas à croire !… super-Hollywood !… toutes les époques, depuis la fonte des neiges, l’étranglement du Danube, la mort du dragon, la victoire de Saint-Fidelis, jusqu’à Guillaume II et Gœring.

De nous autres, tous là, Bichelonne avait la plus grosse tête, pas seulement qu’il était champion de Polytechnique et des Mines… Histoire ! Géotechnie !… pardon !… un vrai cybernétique tout seul ! il a fallu qu’il nous explique le quoi du pour ! les biscornuteries du Château ! toutes ! qu’il penchait plutôt sud que nord ?… si il savait ? pourquoi les cheminées, créneaux, pont-levis, vermoulus, inclinaient eux plutôt ouest ?… foutu berceau Hohenzollern ! pardi ! juché qu’il était sur son roc !… traviole ! biscornu de partout !… dehors !… dedans !… toutes ses chambres, dédales, labyrinthes, tout ! tout prêt à basculer à l’eau depuis quatorze siècles !… quand vous irez vous saurez !… repaire berceau du plus fort élevage de fieffés rapaces loups d’Europe ! la rigolade de ce Haut-Lieu ! et qu’il vacillait je vous le dis sous les escadres qu’arrêtaient pas, des mille et mille « forteresses », pour Dresde, Munich, Augsburg… de jour, de nuit… que tous les petits vitraux pétaient, sautaient au fleuve !… vous verrez !…

 

 

Tout ce château Siegmaringen, fantastique biscornu trompe-l’œil a tout de même tenu treize-quatorze siècles !… Bichelonne lui a pas tenu du tout… polytechnicien, ministre, formidable tronche… il est mort à Hohenlychen, Prusse-Orientale… pure coquetterie !… miraginerie !… parti là-haut se faire opérer se faire raccommoder une fracture… il se voyait rentrant à Paris, au pas de chasseur, aux côtés de Laval, triomphal et tout… l’Arc de l’Étoile, les Champs-Élysées, l’Inconnu !… il était obsédé de sa jambe… elle le gêne plus… la façon qu’ils l’ont opéré là-haut à Hohenlychen je vous raconterai… les témoins existent plus… le chirurgien non plus !… Gebhardt, criminel de guerre, pendu !… pas pour l’opération Bichelonne !… pour toutes sortes de génocides, des petits Hiroshimas intimes… oh ! non que cet Hiroshima me souffle !… Regardez Truman, s’il est heureux, tout content soi, jouant du clavecin !… l’idole de millions d’électeurs !… le veuf rêvé de millions de veuves !… Cosmique Landru !… lui au clavecin d’Amadeus !… Vous avez qu’à attendre un peu… tuez-en beaucoup, et attendez !… suffît !… pas que Dcnoël !… Marion… Bichelonne… Beria… demain B… K… H… ! la queue !… la queue de frémissants trépignants… hurlant d’entrer, d’y aller, d’être pendus plus court !… roustis crotte de bique ! tout le Palais Bourbon, les 600 !… écoutez-les, l’état qu’ils se mettent, l’impatience d’être servis aux lions !

Nous là les 1142, avions pas qu’à nous promener !… curistes de Siegmaringen !… y avait à trouver notre pitanche… je dois dire, je me contente de très peu, mais là comme comme plus tard au nord, on a vraiment très crevé de faim, pas passagèrement, pour régime, non, sérieux !…

Que voilà de disparates histoires ! je me relis… que vous y compreniez ci !… ça !… pouic ! perdiez pas le fil !… toutes mes excuses !… si je chevrote, branquillonne, je ressemble, c’est tout, à bien des guides !… vous me tiendrez aucune rigueur quand vous saurez le fond du fond !… ferme propos !… tenez avec moi !… je suis là, je fais sursauter mon lit, tant mieux !… tout pour vous !… le rassemblement des souvenirs !… que la crise donc m’ébouillante ! me secoue les détails !… et les dates !… je veux vous égarer en rien…

Dans ce sacristi va comme je te pousse biscornuterie quinze… vingt manoirs superposés se trouvait une bibliothèque mais là une bath !… oh là youyouye ! cette richesse ! inouïe !… nous y reviendrons, je vous raconterai…

Un moment, les 1142, l’armée Leclerc rapproche… rapproche… sont pris d’une de ces inquiétudes !… d’une envie d’en savoir plus !… plus !… les intellectuels surtout !… et nous en avions notre quota ! d’intellectuels à Siegmaringen… des vrais cérébraux, des sérieux !… comme Gaxotte aurait pu être, bien failli… pas de ces cafouilloneux de terrasses, ambitionissimes alcooliques, débiles à sursauts, louchant d’un charme l’autre, d’une pissotière l’autre, slaves, hongrois, yankees, mings, d’un engagement l’autre, d’une mauriaco-tarterie l’autre, carambolant croix en faucille, d’un pernod l’autre, d’une veste à l’autre, d’une enveloppe l’autre… non, rien de commun !… tous intellectuels bien sérieux !… c’est-à-dire pas gratuits ! verbaux ! du tout ! non !… payants ! l’article 75 bien au trouf ! bien viandes à poteaux !… pas boys Greenwich-Bloomsbury !… non !… que des authentiques !… des « appellations contrôlées » ! tous on peut le dire : clercs impeccables ! crevant bien de faim, de froid, et de gale… l’envie donc les tenait, l’angoisse de savoir si des fois, dans le cours des temps… il avait jamais existé… une espèce, une clique, une voyoucratie, aussi haïe, maudite que nous, aussi furieusement attendue, recherchée par des foules de flics (ah ! Hongrois douillets !) pour nous passer aux banderilles, grillades, pals ?…

Peine de recherches et fouilles, vous pensez ! je vous assure que nos clercs s’y mirent !… tous les cas des plus pires fumiers qu’ont été torturés ci ! là ! Spartaciens ? Girondins ?… Templiers !… Commune ?… nous soupesâmes… scrutâmes toutes les Chroniques, Codes, Libelles… comparâmes pour cette raison… pour une autre… nous étions peut-être ?… peut-être ?… aussi ordures à l’Europe aussi à jeter à la première voirie venue, crocher à n’importe quelle fourche, que les amis de Napoléon ?… une fois Sainte-Hélène !… peut-être ?… surtout les amis espagnols !… collaborateurs hidalgos !… les joséfins ! un nom à toujours se souvenir !… ce que nous étions aussi nous !… adolfîns !… ce que les joséfins avaient pris ! ah « collaborateurs » d’époque !… tous les Javer d’alors au cul ! l’hallali à peu près pareil… que nous, les 1142 !… nous l’armée Leclerc à Strasbourg !… et ses Sénégalais coupe-coupe !… (les Hongrois qui se plaignent des Tartares, merde !)

Vous dire si cette bibliothèque impériale, royale, était cossue, et riche en tout !… ce que vous pouviez y glaner ! vous fertiliser en tous genres !… manuscrits, mémoires, incunables… vous auriez vu nos clercs sérieux, grimper aux échelles, agrégés, normaliens, académiciens, tous âges, immortels biffés, te farfouiller ça ! ardents ! latin, grec, français !… là que vous voyez la culture ! en même temps qu’ils se grattaient de la gale !… au haut de chaque échelle !… et qu’ils voulaient avoir raison ! chacun pour son texte !… sa chronique !… qu’on était moins haï ou plus que les collabos à Joseph ?… nos tétères à nous, plus à prix ?… moins ?… en francs, en escudos d’époque ?… un Doyen de la Faculté de Droit était d’avis plutôt « plus » ! un Immortel était pour « moins » !… on a voté… fifty-fifty ! l’avenir est à Dieu ! salut ! l’Immortel s’est vachement gouré ! les événements ont bien prouvé !… le calvaire d’« adolfins » fut plus infiniment féroce que toutes les autres vengeances réunies ! aussi sensââ que la bombe H !… 100 000 fois plus forte que notre mesquin obus de 14 ! super-hallali ! mise à mort formid !… et tout le temps ! queue de poisson !… qu’aucun de nous en verra le bout !… Saint Louis, la vache !… pour lui qu’on expie ! je dis !… lui le brutal ! le tortureur !… lui qu’a été béatifié, tenez-vous ! qu’il a fait baptiser, forcés, un bon million d’Israéliens !… dans notre cher Midi de notre chère France ! pire qu’Adolf, le mec !… vous dire ce que vous appreniez d’une échelle à l’autre !… ah ! le saint Louis !… canonisé, 1297 !… on en reparlera !

 

 

Ça vaut la peine, puisque nous sommes en touristes, que je vous parle un peu des trésors tapisseries, boiseries, vaisselles, salles d’armes… trophées, armures, étendards… autant d’étages autant de musées… en plus des bunkers sous le Danube, tunnels blindés… Combien ces princes ducs et gangsters, avaient pioché de trous, cachettes, oubliettes ?… dans la vase, dans les sables, dans le roc ? quatorze siècles d’Hohenzollern ! sapristis sapeurs cachottiers !… tout l’afur était sous le Château, les doublons, les rivaux occis, pendus, étranglés racornis… les hauts, le visible, formidable toc, trompe-l’œil, tourelles, beffrois, cloches… pour le vent ! miroir aux alouettes !… et tout dessous : l’or de la famille !… et les squelettes des kidnappés, caravanes des gorges du Danube, trésors des marchands florentins, aventuriers de Suisse, Germanie… leurs risques avaient abouti là, dans les oubliettes, sous le Danube… quatorze siècles d’oubliettes… Oh ! pas inutiles !… cent fois !… cent alertes ! nous nous y sommes sauvé la vie !.. vous auriez vu ces grouillements ! la foule sous le Danube, dans ces trous de 164 fouines, pluri-centenaires ! familles, bébés, papas, leurs clebs… militaires fritz et gardes d’honneur, ministres, amiraux, landsturms, et les crevards du Fidelis et de la boutique P.P.F., et fous de n’importe où, pêle-mêle… et hommes à Darnand, tâtonnant, d’une catacombe l’autre… la recherche d’un tunnel qui ne croule pas…

Si familier du Château, vous me voyez assez bien en Cour… oh ! pas du tout !… pas pensionnaire !… ne pas confondre !… pas seize cartes d’Alimentation !… ni huit !… une seule !… c’est ça qui vous situe exact : la Carte !… j’étais admis au Château oui !… certainement ! mais pas pour briffer, pour « rendre compte » !… combien de grippes ? de femmes enceintes ? de nouvelles gales ?… et de combien de morphine il me restait ?… huile camphrée ?… éther ?… et l’état de mes nourrissons ?… là Brinon fallait qu’il m’écoute, pour les nourrissons j’attaquais ! qu’est-ce qu’ils en foutaient au camp ? six morts par semaine ?… qu’on y faisait mourir nos mômes !… exprès !… tout exprès !… je dis ! à coups de brouets de carottes crues !… oui !… absolument ! tous enfants de « collaborateurs »… suppression des mômes !… crimes très voulus !… la haine des Allemands, soit dit en passant, s’est surtout vraiment exercée que contre les « collaborateurs »… pas tellement contre les Juifs, qu’étaient si forts à Londres, New York… ni contre les fifis, qu’étaient dits « la Vrounze nouvelle », de demain !… dure, pure… mais à fond contre les « collabos », ordures du monde ! et qu’étaient là, faibles on ne peut plus, à merci, vaincus total !… et sur leurs mômes plus faibles encore… je vous dis : Nuremberg est à refaire !… ils ont parlé de tout, mais au pour ! pas du tout pertinents, sérieux… à côté !… Tartuffes !…

Ce camp des mômes c’était Cissen, morgue à coups de brouets carottes crues, Nursery « Grand Guignol », sous commandement de tout faux méde-cins, charlatans tartares, ravis sadiques…

Brinon bien sûr savait tout ça, je lui apprenais rien… mais il ne pouvait rien ! « Désolé, Docteur ! désolé ! » Brinon, « animal des ténèbres, secret, très muet, et très dangereux »…

« Méfiez-vous, Docteur ! méfiez-vous ! » Bonnard me mettait en garde… Abel… Bonnard le connaissait bien… je dois dire qu’avec moi, Brinon dans nos rapports, travaux ensemble, fut toujours correct, régulier… et il aurait eu à dire ! lui aussi !… de ces propos qu’on m’attribuait !… pas piqués des vers !… que la Bochie était foutue !… Adolf, catastrophe !… propos publics et en privé !… il l’aurait eu facile, commode Brinon, de m’envoyer quelque part !… il l’a pas fait !… ténébreux ou pas… les Partis me trouvaient drôle aussi… Bucard, Sabiani, tcétéra… la Milice… que j’étais « inscrit » nulle part… que ma place était moi, de même, dans un camp, loin…

L’Opinion a toujours raison, surtout si elle est bien conne…

Oh ! certes je pouvais me méfier de Brinon, « fameux animal des ténèbres »…

Une fois nos rapports échangés, plaintes, contre-plaintes, je passais aux visites aux malades… dans le Château même, un étage, l’autre… trois, quatre, chaque matin… je connaissais les lieux, bien… les couloirs et les tentures, les issues vraies, fausses… bien… les tire-bouchons d’escaliers, à travers lambris et poutrelles… des cache-cache et ombres à se faire poignarder, vraiment, mille fois !… et rester dessécher des siècles !… vous pensez, les Hohenzollern s’étaient pas privés !… experts en chausse-trapes, couloirs à bascules !… et à pic au gouffre !… Danube !… plongeon !… la Dynastie, mère de l’Europe, vous pensez tout de même un petit peu que c’est question de plus de mille meurtres par jour ! et pendant onze siècles !… fouchtri !… Barbe-Bleue qui nous casse les pieds, ses six rombières dans un placard ! qu’est-ce qu’il allait fonder avec ?… j’avais bonne mine, moi mes enfants à la carotte me plaindre qu’on les faisait dépérir ! Brinon certes, pensait bien de même, mais seigneur vassal, il avait qu’à se taire… « Graf von Brinon » écrit sur sa porte…

Rigolo, c’était les plantons, tous d’armée française régulière, de régiments à « fourragère »… ils devaient être aussi tels à Londres… les mêmes sans doute ?…

 

 

L’étage Laval… Laval je l’ai soigné un petit peu… Pétain je l’ai jamais approché… Brinon m’avait proposé, on venait d’arrêter Ménétrel… « J’aime mieux mourir, et tout de suite !… » l’effet que je lui faisais Pétain… le même effet qu’aux gens d’ici, du Bas-Meudon… ou de Sèvres… Boulogne… ou à ma belle-mère… oh, aucun mal ! on se fait très bien, de plaire à personne !… bon débarras ! bon débarras ! l’idéal même !… mais la boustiffe ?… très joli l’isolement total, mais les moyens ?… pas plaire et vioquir et des rentes !… le vrai bonheur ! jamais jamais plus emmerdé !… un rêve facile pour un gens riche, par exemple Achille !… oui, Achille… mais beaucoup moins con…

Je connaissais donc très bien ce Château, dans tous les coins, mais rien à côté de Lili. Lili, comme chez elle ! toutes les cachettes et labyrinthes ! tapisseries truquées, à personnages livrant passage, grands appartements, boudoirs, armoires triple-fond, escaliers en vrilles… toutes les fausses issues, tous les zigzags et les paliers enchevêtrés !… devinettes à remonter redescendre… le Château vraiment à se perdre… tous les coins… l’œuvre des siècles d’Hohenzollern… et dans tous les styles !… Barberousse, Renaissance, Baroque, 1900… moi-même d’une porte l’autre je me paumais… je me fascinais sur les portraits, les tronches de la sacrée famille… si y en avait !… corridors et statues… équestres et gisants… toutes les sauces !… Hohenzollern plus en plus laids… en arbalètes… en casques, cuirasses… en habits de Cour… façon Louis XV… et leurs évêques !… et leurs bourreaux !… bourreaux avec des haches comme ça !… dans les couloirs les plus sombres… les peintres se foulaient pas en ce temps-là, ils leur faisaient les mêmes profils…

Moi qui venais me plaindre à de Brinon que les médecins expédiaient nos mômes ! j’aurais pu regarder un petit peu les profils des Messieurs Seigneurs… ceux-là, ils devaient expédier dur : bossus, ventrus, cuirasses, jambes de biques… et pas que les mômes !… aussi qu’est-ce qu’on était venus foutre à Siegmaringen !… mômes, pas mômes ?… nous ?… fuir notre destin de se faire rissoler les tripes, hachurer le sexe, retourner le derme… la belle histoire ! y avait un petit peu de réflexions dans les couloirs Hohenzollern… d’un portrait l’autre… je peux dire ces princes m’attiraient, surtout ceux de la très haute époque… des têtes trois quatre fois comme Dullin, des tronches sans honte, horribles féroces… là, alors vous pouviez être sûr : des créateurs de Dynasties !… Bonaparte fait un peu demoiselle, traits fins, mains chochottes, fragonardes… tandis que les Hohenzollern, vous voyez, vous dites, les premiers surtout : « quels Landrus !… » un autre ?… encore pire !… Troppmann !…

Deibler craché !… la ribambelle !… toujours plus sournois !… plus cruels !… plus cupides !… plus monstres !… des centaines de Landrus pure race !… trois !… quatre étages de Landrus ! cousins Landrus ! et à pique !… masse d’armes ! faux !… éperons !… frondes !… toujours plus sadiques !… dauphins Landrus ! pas le Landru timide de Gambais !… étriqué, furtif, à cuisinière rafistolée, occasion de la Salle… non !… Landrus sûrs d’eux !… pur jus !… nom de Gott !… lances, cuirasses, tout ! blasons, mit uns !… des étages de portraits « coupe-souffle » !… Gott à la botte !… des pas seulement petits déchiqueteurs de fiancées !… non ! autant de tortureurs impériaux !… kyrielle !… passeurs de duchés à la poêle !… bourgs, forteresses, cloîtres… à la broche ! contents ou pas !… marmites !… marmites !…

Voilà les tronches… la queue leu leu… fascinantes… d’un malade l’autre, entre les portes, j’allais les voir… 13ème du 12ème siècle surtout !… vous irez aussi ! autant de monstres !… oh ? oh ?… vite dit !… vite dit !… là à bien regarder réfléchir… des sacrédiés de diables plutôt !… fourchus !… à lances !… torches !… cornes !… des fondateurs de dynasties ! leur air de famille, absolu ! démons !… c’est quand ils ont cessé d’être diables que leur Empire s’est écroulé !… tous les Empires kif !… et d’un !… je vois là les Roussky sur la pente… le B… le K… l’M… ont bien l’air assez lucifers, mais pas si sûrs d’eux !… ils chichitent, tortillent du tank, dia-lectalotent… ils verront !… Lénine !… Staline !… ah ! vrais de vrais ! Satans 1000 pour 1000 !… voilà des figures comme chez eux dans les galeries Hohen-zollern ! sur cinq étages ! et les tourelles !… fondateurs pas à chichiter ! dynasties qui tiennent l

Je suis un petit peu alchimiste, vous vous êtes sans doute aperçu… mais sérieux !… je vous raconte pas des chansons !… rien que du pesé, et pour et contre !… je vous ai montré La Publique, maintenant nous voici en tourisme et pleine Histoire !… la diversité est ma loi !… Siegmaringen Hohenzollern !… et vous avez pas fini de rire !… de vous fasciner sur les portraits, bustes, statues…

D’un tournant l’autre, je me paumais !… je vous le dis, j’avoue… Lili ou Bébert me retrouvaient… les femmes ont l’instinct des dédales, des torts et travers, elles s’y retrouvent… le sens animal !… c’est l’ordre qui les interloque… l’absurde leur va… le biscornu leur est normal… la Mode !… pour les chats : greniers, tohus-bohus, vieilles granges… les demeures en « Contes fantastiques », les attirent, irrésistibles… où nous nous avons rien à foutre !… l’Embryogénie leur drôlerie, pirouettes, virevoltes de gamètes… la perversité des atomes… les bêtes, pareil !… tenez Bébert !… il me faisait « coucou » par les lucarnes… brrt !… brrt !… la niche !… je le voyais plus !… il se foutait de moi !… les chats, enfants, dames, sont d’un monde à eux… Lili allait où elle voulait dans tout l’Hohenzollern-Château… d’un dédale de couloirs à l’autre… du beffroi de tout en l’air, des cloches, à la salle d’armes, à fleur du fleuve… un itinéraire que d’instinct !… à la raison, vous travioliez tout !… colimaçons, bois, pierres, échelles !… remontées !… demi-tours !… tentures… tapisseries… fausses sorties… tout traquenards !… même un plan vous compreniez rien !… que des assassins tous les coins !… trouvères, chauves-souris, fées vadrouilles… de tout à rencontrer je vous dis, d’une fausse sortie… d’une fausse tenture l’autre !… je sortais de chez Brinon, de chez Marion… de chez Y… de chez Z… je vous cite que des noms de personnes mortes… je laisse les survivants tranquilles… les morts suffisent !… ceux qui sont morts en Espagne… et ceux qui ont fini ailleurs… bien ailleurs !… les indiscrétions, Tacite s’en chargera !… il est déjà né, on dit… bon !… le Château, faudra qu’il se fie à moi… pensez il aura basculé !… vermoulue croulure… l’équilibre est pas éternel ! il sera parti au Danube !… le Schloss et la Bibliothèque ! labyrinthes !… boiseries !… et porcelaines et oubliettes !… au jus ! et souvenirs !… et tous les princes et rois du Diable !… au delta, là-bas !… ah ! Danube si brisant furieux ! il emportera tout !… ah ! Donau blau !… mon cul !… si fougueux colère frémissant fleuve d’emporter le Château et ses cloches… et tous les démons !… te gêne pas ! hardi ! et les trophées, armures, gonfalons, trompes à secouer toute la Forêt Noire, si sonores que les pins peuvent plus !… culbutent de vibrer !… partent aux avalanches !… la fin des féeries des manoirs, revenants, triples sous-sols et potiches ! Apothicaireries et pots !… Apollons porphyres !… Vénus ébène ! au torrent tout ! et les Dianes Chasseresses ! des étages entiers de Dianes Chasseresses !… d’Apollons !… Neptunes !… rapines des démons à cuirasses, dix siècles détrousseurs !… vous pensez !… l’afur de sept dynasties ! vous irez voir vous rendre compte, ce « Formid-Rapines » magasin… je veux pas être plus fort que Tacite, mais tout de même vous pouvez penser que dix siècles de démons-gangsters c’est quelqu’un !… et rois en plus ! et que Rome-la Prusse c’est un plutôt sérieux trafic, caravanes de marchands cossus !… ah ! Dianes !… Vénus !… Apollons !… antiquaireries ! Cupidons ! voyages des marchands ! s’ils s’étaient servis les Princes !… Hohenzollern !… gangsters du Danube !… s’ils s’étaient meublés !… meublés vraiment de très jolies choses !… je m’y connais… je voyais l’appartement de Pétain… ses sept salons du « sixième »… et celui de Gabold, au « troisième »… tout en « Dresde »… parquet marqueterie « bois de rose »… travail merveille !… qu’avec des milliards actuels… personne vous referait ! plus les mains !… ces petits « services à thé » non plus… non !… et celui de Laval, au « second » !… Ier Empire !… abeilles, aigles… perfection de l’Époque !… on ne frappe plus de pareils velours… authentiques de Lyon…

Ainsi s’installent les dynasties… bric et broc !… se drapent, rehaussent… s’ornent !… une fantastique monstre boutique, grande mettons, trois fois Notre-Dame !… et tout d’équilibre sur son roc !… et penchée !… tous ceux qu’iront voir vous diront… innocents touristes, ils emporteront rien, sonnés, suffoqués… de quoi !… à voir !… bahuts, mille trucs, souvenirs, bibelots…

Je vous raconte tout bric et broc… selon les secousses, chocs du châlit… que je sais plus ce qui me secoue… la fièvre ?… le sommier qui cède ?… je tremble plutôt moins… je crois !… cette affaire du quai m’a pas réussi du tout !… La Publique !… et cette sale clique de funambules !… et injurieux !… et le réveil du paludisme !… et la bise de Seine !… tout me tourneboule… et voilà !… je suis plus fait pour ! « flûte » !… vous me direz… « quel indécent » !

« Te sens-tu mieux ?… comment te sens-tu ?

— Tu sais… pas si mal !… »

Je pensais à des choses… je vais vous ennuyer encore !… je pensais, c’est vrai, à la façon qu’elle était là-bas comme chez elle… jamais perdue… qu’elle me retrouvait d’un couloir l’autre… fasciné, bien ahuri, devant encore un Hohenzollern ! Hjalmar… Kurt… Hans… un autre !… bossu !… oui !…, oui !… je vous ai pas dit… bossus tous ! Burchard… Venceslas… Conrad… ils me trottent !… 12e !… 13e !… 15e du nom ! siècles ! siècles !… bossus et pas de jambes !… pieds-de-biche fourchus !… tous !… Landrus Diables !… ah ! que je les vois ! que je les revois tous !… leur verrue aussi !… leur verrue de famille !…, au bout du pitard…

 

 

La tête est une espèce d’usine qui marche pas très bien comme on veut… pensez ! deux mille milliards de neurones absolument en plein mystère… vous voilà frais ! neurones livrés à eux-mêmes ! le moindre accès, votre crâne vous bat la campagne, vous rattrapez plus une idée !… vous avez honte… moi là comme je suis, sur le flanc, je voudrais vous parler encore… tableaux, blasons, coulisses, tentures !… mais je ne sais plus… je retrouve plus ! la tête me tourne… oh ! mais attendez !… je vous retrouverai !… vous et mon Château… et ma tête !… plus tard… plus tard… je me souviens d’un mot !… j’ai dit !… le sens animal ! de Bébert !… je retrouve le fil !… Bébert notre chat… ah ! m’y revoici !… que Bébert était comme chez lui dans l’immense Château du haut des tourelles aux caves… ils se rencontraient Lili lui d’un couloir l’autre… ils se parlaient pas… ils avaient l’air s’être jamais vus… chacun pour soi ! les ondes animales sont de sorte, un quart de milli à côté, vous êtes plus vous… vous existez plus… un autre monde !… le même mystère avec Bessy, ma chienne, plus tard, dans les bois, au Danemark… elle foutait le camp… je l’appelais… vas-y !… elle entendait pas !… elle était en fugue… et c’est tout !… elle passait, nous frôlait tout contre… dix fois !… vingt fois !… une flèche !… et à la charge autour des arbres !… si vite vous lui voyiez plus les pattes ! bolide ! ce qu’elle pouvait de vitesse !… je pouvais l’appeler ! j’existais plus !… pourtant une chienne que j’adorais… et elle aussi… je crois qu’elle m’aimait… mais sa vie animale d’abord ! pendant deux… trois heures… je comptais plus… elle était en fugue, en furie dans le monde animal, à travers futaies, prairies, lapins, biches, canards… elle me revenait les pattes en sang, affectueuse… elle est morte ici à Meudon, Bessy, elle est enterrée là, tout contre, dans le jardin, je vois le tertre… elle a bien souffert pour mourir… je crois, d’un cancer… elle a voulu mourir que là, dehors… je lui tenais la tête… je l’ai embrassée jusqu’au bout… c’était vraiment la bête splendide… une joie de la regarder… une joie à vibrer… comme elle était belle !… pas un défaut… pelage, carrure, aplomb… oh ! rien n’approche dans les Concours !…

C’est un fait, je pense toujours à elle, même là dans la fièvre… d’abord je peux me détacher de rien, ni d’un souvenir, ni d’une personne, à plus forte raison d’une chienne… je suis doué fidèle… fidèle, responsable… responsable de tout !… une vraie maladie… anti-jean-foutre… le monde vous régale !… les animaux sont innocents, même les fugueurs comme Bessy… on les abat dans les meutes…

Je peux dire que je l’ai bien aimée, avec ses folles escapades, je l’aurais pas donnée pour tout l’or du monde… pas plus que Bébert, pourtant le pire hargneux greffe déchireur, un tigre !… mais bien affectueux, ses moments… et terriblement attaché ! j’ai vu à travers l’Allemagne… fidélité de fauve…

À Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark… rien à fuguer à Meudon !… pas une biche !… peut-être un lapin ?… peut-être !… je l’ai emmenée dans le bois de Saint-Cloud… qu’elle poupole un peu… elle a reniflé… zigzagué… elle est revenue presque tout de suite… deux minutes… rien à pister dans le bois de Saint-Cloud !… elle a continué la promenade avec nous, mais toute triste… c’était la chienne très robuste !… on l’avait eue très malheureuse, là-haut… vraiment la vie très atroce… des froids – 25°… et sans niche !… pas pendant des jours… des mois !… des années !… la Baltique prise…

Tout d’un coup, avec nous, très bien !… on lui passait tout !… elle mangeait comme nous !… elle foutait le camp… elle revenait… jamais un reproche… pour ainsi dire dans nos assiettes elle mangeait… plus le monde nous a fait de misères plus il a fallu qu’on la gâte… elle a été !… mais elle a souffert pour mourir… je voulais pas du tout la piquer… lui faire même un petit peu de morphine… elle aurait eu peur de la seringue… je lui avais jamais fait peur… je l’ai eue, au plus mal, bien quinze jours… oh ! elle se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… elle couchait à côté de mon lit… un moment, le matin, elle a voulu aller dehors… je voulais l’allonger sur la paille… juste après l’aube… elle voulait pas comme je l’allongeais… elle a pas voulu… elle voulait être un autre endroit… du côté le plus froid de la maisonet sur les cailloux… elle s’est allongée joliment… elle a commencé à râler… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle aux bois où elle fuguait, Korsör, là-haut… fidèle aussi à la vie atroce… les bois de Meudon lui disaient rien… elle est morte sur deux… trois petits râles… oh, très discrets… sans du tout se plaindre… ainsi dire… et en position vraiment très belle, comme en plein élan, en fugue… mais sur le côté, abattue, finie… le nez vers ses forêts à fugue, là-haut d’où elle venait, où elle avait souffert… Dieu sait !

Oh ! j’ai vu bien des agonies… ici… là… partout… mais de loin pas des si belles, discrètes… fidèles… ce qui nuit dans l’agonie des hommes c’est le tralala… l’homme est toujours quand même en scène… le plus simple…

 

 

Il va sans dire que je tenais absolument à aller mieux… me remettre debout !… que ça serait qu’un petit accès… bast !… une semaine !… un mois entier !… aussi quel été, quel temps !… jamais il paraît, depuis un siècle… presque de la neige !… la fièvre empêche pas de travailler à condition de pas rerisquer un coup de froid… par conséquent pas de quai ! pas de Seine !… et la Mme Niçois alors ?… elle pouvait attendre huit jours… dix jours… si je pouvais plus y aller du tout Tailhefer irait… il avait l’auto lui Tailhefer… je lui téléphonerais… il me refuserait pas… je pensais à tout… tant bien que mal !… il était Prince de la Science lui, Tailhefer… il trouverait bien le quai ex-Faidherbe… sûrement il me dirait pas non… il verrait un peu La Publique… c’est un moment qu’on se connaissait moi, Tailhefer… lui, il avait ascendu… Archi-Maître… il avait aussi ascendu que moi dégringolé bas… la preuve : pour le carbi, les endives, je pouvais plus compter que sur mes livres… et qui se vendaient plus !… jolis draps !… l’espoir que celui-ci se vende ?… téméraire !… qu’il intéresse certaines personnes… oh ! là ! là ! je prends souvent ma fièvre… sotte diversion ! un cartable ! et que je prenne appui !… voilà ! grifouille !… avance !… les gens riches se posent des questions… peuvent !… les paumés, pas d’âge ! pas d’état de santé ! foncent !… je suis boycotté ?… et alors ?… « il s’est pas encore suicidé ?… » voilà, ce qui étonne !… « inactuel, décati !… » oh ! là ! moi, tout pourris puants charognes je les trouve ! déjetures de Grévins !… raclures de voiries !… chacun son idée !… à « re-writer » au trognon ! à l’os ! à l’atome !… pire, pire 1900 !… capilotades de vanités ! tournures, faux nichons !… Mme Emery, rue Royale… Paris et Trouville à la belle saison, vous façonnait de ces robes ! autrement foutues que leurs romans !… mais le soin ! flous et petits points !… la belle ouvrage !… je la vois plus… chacun peut avoir son idée !… moi qu’ai vu la capilotade de bien des Empires, je verrai, si je dure assez longtemps (carbi, carottes), la capilotade des « actuels »… horde de balourds bluffeurs, pochetées !… pardi !… carbi ! carottes !… condition ! façonne pas trop flou !… et couse à l’aiguille !… petit empiècement de souvenirs ! ci !… un autre !… là : un fait historique !… à l’aiguille !… un autre !… je vous dois une « révolte de la faim !… » oh, bénigne révolte !… elle vous amusera peut-être…

Je vais pas me lever… je veux pas me lever… Tailhefer ira !… je lui téléphonerai…

Révolte… pas au Bas-Meudon ! non !… à Siegmaringen ! je bats la campagne, je vous promène… soit !… je rassemble mes souvenirs historiques… que je me trompe pas !… nous y voilà !… Siegmaringen… l’état du moral !… pas fameux !… malgré les appels à la « conscience combattante » de « l’Europe Unie… » flasque ! aussi flasque qu’aux jours de maintenant, malgré les appels de Dulles, Coty, Lazare, Youssef, le Pape… mou, mou, mou moral !… les « certitudes en la Victoire »… qu’elle était là, et patati !… réchauffaient personne ! ça mouftait pas, mais pensait bas !… l’élite pourtant intéressée, « collaboratrice », 1142 condamnés à mort, tous, l’article 75 au cul… ils commençaient, culot !… à se plaindre que la nourriture était lape, que la question « Stamgericht » et même « Hausgericht » était que pure et simple foutaise !… famine !… voilà ce qui se grommelait, bientôt s’hurlerait ! et que les hébergés du Château, pontifes, ministres et patati, « actifs » et « sommeils » et leurs épouses et maîtresses, gardes du corps, nounous et bébés, par contre l’avaient joliment chouette !… et les Généraux, Amiraux et Ambassadeurs d’on ne sait d’où !… que tout ça était que plurilards, gras, pleins de sang, des 8,16 cartes chacun !… qu’il était temps que ça se dégueule !

Bien sûr que tout ça fut répété : un esprit pareil !… bourriques zélées postées partout !… un mouchard, deux, par soupente !… le Château sur ses gardes !… vous comprenez tout le Moyen Âge si vous avez un peu vécu à Siegmaringen… l’envie, toute la haine des vilains, tout autour, crevant de toutes les pourritures, famines, froids, fièvres… les gens, les gâtés du Château avaient aussi des sentiments, des manières pour mater la plèbe… d’abord les rumeurs !… répandre des nouvelles très heureuses !… la celle qu’ils firent circuler fut qu’ils allaient casser la croûte avec les vilains !… eux-mêmes ! là, sans façon ! là, au pont-levis !… avec les 1142 !… toute la racaille des murmurants !… cloches et galetas !… d’abord une distribution de pain !… oh ! mais formidable !… À tous les réfugiés du bourg !… jeudi à midi ! juste midi !… qu’il suf-firait d’être là, présents ! tous !

Vous pensez que de telles rumeurs tombent pas dans des oreilles de sourds !… qu’il y avait du monde au pont-levis !… l’affluence le jour indiqué !… et dès l’aube !… l’estomac a pas d’oreilles ?… tous les collabos y étaient au pont-levis… sauf les crevards du Fidelis qui pouvaient vraiment plus se lever, et ceux en fuite en Forêt Noire… mais enfin, on peut bien le dire, sur les 1142 bien au moins 1’ooo étaient là, s’attendant à toucher quelque chose… et si ça parlait, discutait !… les réflexions du suc gastrique !… pain noir ?… pain bis ? petits pains ?… et tous sacrement renseignés ! ou vils mouchards ?… remonteurs du moral ?… qui savaient très bien ce qu’allait venir !… pour les enfants : croissants, brioches !… ah, c’était pas à discuter !… moi qu’étais au courant de Cissen je me disais : ça va être la rafle… la grande cueillette des faméliques !… ce rassemblement est un truc !…

En attendant les brioches, ils s’échangeaient puces, poux, morpions, gales… vous auriez vu comme convulsifs ! une petite foule d’épileptiques… quand même la faim !… faim plus que tout !… ce qu’ils allaient pouvoir s’empiffrer ! ah ! là là !… d’un pied sur l’autre… se grattant, labourant, s’arrachant les sillons de gale… ils étaient en sorte de demi-cercle devant le pont-levis… roulaient de ces calots ! fascinés… de ce qu’allait sortir comme bombance !… pas seulement du pain !… du jambon avec ! des sandwiches… et du saindoux… moi pas romantique de boustif, et sérieux en quart, je gafais vers un trou des catacombes à droite du pont… un éboulement… une sorte de cratère… je m’attendais un tour de cochon, la razzia schuppo… quelque chose… un commando des sous-sols… un coup monté… S.S. ?.. S.A. ?… Sicherheit ?… que les Fritz en avaient très marre !… plus que !… nous voir là tous d’un pied sur l’autre, d’une paillasse l’autre, grattant, toussant, mauvais esprit, attendant quoi ?… le petit Jésus ?… le grand soulèvement Walhalla ?… les Chevaliers Siegfriedo-Graal ? en plus des petits pains ? et qu’on voulait bâfrer en plus !… pas assez de nos « stams » à la rave !… de nos fins brouets margarine !… y avait de quoi !… ils avaient assez !… surtout comme leurs affaires tournaient… à bout de Débâcles !… leurs armées les unes dans les autres !… nous et nos petites allures sceptiques et nos moucharderies !… qu’on leur foirait dans leur moral !… qu’ils avaient déjà le ciel tout pris !… vous aviez qu’à regarder un peu… derrière chaque nuage, vingt !… trente avions !… R.A.F. partout ! ce carrousel !… et Amerloques !… trois quatre escadres de « forteresses »… permanentes… jour, nuit… Londres… Munich… Vienne… pas une aile fritz contre !… vous dire si on était piffrés nous et nos remarques désenchantantes… surtout qu’eux en plus, fritz à fritz, ils cherchaient aussi qu’à se buter !… là nous toujours devant le pont-levis ça discutait dur, si ça serait vraiment que du pain K ?… ou de la boule de troupe ?… ou de la brioche ?… ça devait être midi la distribution, une heure on attendait encore… se gratter fait passer le temps, je veux… tout de même ça allait tourner mal… une heure et quart !… tout le beffroi sonne !… d’un coup !… la volée de cloches ! magnifique beffroi !… vous entendrez si vous y allez !… oh ! mais je gafais mon trou ! le cratère… comme certain que par là… ça y est !… j’en vois sortir comme deux gros rats !… deux personne » très emmitouflées !… des femmes… deux femmes… je les vois, elles se rapprochent… jamais je les avais vues encore… elles sortent du fond de la crevasse… dans l’éboulis… elles doivent vivre dans les catacombes… personne y avait jamais été dans les catacombes, tout au fond, jusqu’au bout… ils passaient par-dessous le Danube !… jusqu’à Bâle !… l’autre côté jusqu’au Brenner !… il paraît !… personne y avait été voir… peut-être ces femmes ?… toujours là, les deux, moi qui connaissais bien le Château, je les avais jamais rencontrées… Lili non plus… je lui demande… l’une faisait encore assez jeune… oh mais l’autre, extrêmement carabosse !… tordue !… toutes les deux avaient des ombrelles… oui !… des ombrelles roses… je la voyais là, la vieille, de tout près… son nez… un nez tout couvert de verrues… elle arrêtait pas de cligner de l’œil… l’autre aussi… la lumière !… elles devaient vivre dans le noir… l’habitude du noir… mais pourquoi ? pourquoi des ombrelles ? elles se parlaient pas… ah ! si !… elle se parlent !… la vieille demande qu’est-ce qu’il se passe ? elles se parlent en boche… cette vieille pas du tout commode !

« Vous dites ? vous dites ?

— Franzosen !

— Qu’est-ce qu’ils veulent ?

— Brot !

— Alors allez-y ! allez ! »

Elle me voit là qui regarde aussi… moi et Lili et le chat Bébert ! elle se rapproche, la moins vieille des deux, elle me parle en français : « Pardon, monsieur, vous attendez aussi du pain ? – Oui ! oui ! j’ai l’honneur ! ça va pas être long !… vous avez entendu les cloches ?… – Oui, oui, monsieur !… » en fait de cloches, maintenant ça hurle ! et à coups de talons sur le pont-levis ! et vas-y ! le rassemblement en a marre ! « Saligauds ! profiteurs !… bouffis ! traîtres ! du pain là-dedans !… brang ! et vrang ! au poteau Laval ! charogne ! salopard ! du pain !… merde !… Brinon !… fumier !… du pain !… » la colère monte !… ils étaient au moins trois cents hurler au pain ! escalader passer la douve !… brang ! vrang ! dans le pont-levis ! vous pensez le pont-levis une masse ils auraient bien pu être trois mille ! un morceau, un tablier à passer dessus toute une armée, et l’artillerie ! ils pouvaient y aller les galeux ! vilains ! plus ils cognaient moins ça bougeait ! moi je voyais dans cette faribole au pain un joli traquenard du Raumnitz à ramasser les mécontents… tous ces emmerdeurs en roulotte pour un camp quelconque… « par ici ! chers pétulants ! » si les fritz sont sournois perfides !… vous pouvez vous attendre à tout ! regardez d’abord les music-halls, tous les prestidigitateurs sont boches !… le signe, comme ils savent !… Göbbels, champion !… ils sont à se méfier terrible !… « petit pioupiou ! la Gare de l’Est !… t’occupe pas ! saute !… deux millions de morts ! »

Moi, je voyais très bien le coup monté… provoqué !… je quittais pas la crevasse de l’œil, le fond de l’éboulis par où les deux femmes étaient venues… la sournoiserie de ces deux personnes… et pourquoi les deux ombrelles roses ?… et leur sorte de péplums verts et gris couverts de toiles d’araignées ?… elles sortaient de je ne sais quelle cave ?… j’en savais rien… le mieux que je demande à celle qui parlait français… « Vous demeurez là ?… dans les sous-sols ? Madame ? » elle m’avait parlé, je pouvais sans impertinence lui demander d’où elle sortait !

« Oui, monsieur !… oui !… et vous ? vous êtes de Paris ?

— Mais à qui ai-je l’honneur, madame ?

— Dame de compagnie de la Princesse ! »

Elle est pas liante sa princesse !… elle ne nous aime pas… elle regarde l’autre côté… moi son nez qui me dit ! que je veux mieux voir… trois quatre verrues…

« Princesse qui ? je demande.

— Hermilie de Hohenzollern… »

Fixé j’étais… elle devait dire vrai !… le nez était vrai !… j’avais assez regardé des mois toutes les binettes Hohenzollern, tous leurs portraits, tous les couloirs du Château !… tous les murs !… le nez bus-qué comme, et terminé par un bourgeon… tous une, deux… trois verrues violettes ! oh ! même les très anciens portraits ! Xe… XIe… les nez comme elle là, crochus, et les verrues violettes au bout… comme la princesse, là !… tout de même drôle qu’on l’ait jamais rencontrée dans son propre Château !… je veux, y avait du monde au Château !… tous les étages !… quatorze ministres, plus le Brinon… quinze généraux… sept amiraux… et un Chef d’Etat !… les états-majors et les suites !… mais elle on l’avait jamais vue… planquée boudeuse !… ni Lili, ni moi… surtout Lili qu’allait partout !… elles devaient vivre au fond d’un tunnel… et elles sortaient juste pour la boule !… au moment de la grande ripopée !… que les insurgés se tenaient plus !… vrrang ! et brrang !… qu’ils cognaient tous ?… que le pont-levis cède !… vrrang !… et les injures !… Hermilie digne, et son ombrelle, rien à faire avec ces voyous !… parlait qu’à sa dame !… oh ! mais qu’elle tenait dur à sa boule !… nun ! nun ! te relançait sa dame timide !… nun ! nun ! qu’elle cogne aussi ! qu’elle cogne avec ! qu’elle laisse pas passer son tour et ces 1142 gueulards ! brang ! pftouf ! comme si la boule leur était due ! ils frappent ! frappent ! effrontée horde ! au moment là juste le clairon !… oui !… juste !… de l’autre côté du rempart !… « aux champs ! » la garde du Château !… pas des clairons boches, les boches font bugles !… non ! des vrais clairons !… vous auriez dit Lunéville… ou la Pépinière… le pont-levis branle… ses chaînes… ses poulies… le tablier bouge… du bout tout en l’air… baisse… s’abaisse tout lentement… blang ! vlang !…, ça y est ! il a posé !… au niveau !… là alors on pouvait s’attendre à plein de larbins chargés de paniers, pleins de boules, brioches, saucisses et petits fours !… la distribution formidable !

Zébi !… des flics qui émergent !… trois quatre d’abord… et puis bien cinquante schuppos dans un gros camion gazogène… et puis encore une bande de flics… une autre police française !… et puis après eux… le Maréchal ! oui !… lui !… Debeney à sa gauche, en retrait… le général Debeney, l’amputé… mais pas plus de « boules » que de beurre au chose !… la promenade du Maréchal !… voilà ce qu’ils avaient attendu les 1142 lustrucs… vous auriez pu croire… rien du tout !… qu’ils allaient l’agonir affreux… que c’était la honte ! l’infamie ! pas du tout !… lui, ses 16 cartes !… tout le monde le savait !… et qu’il se les tapait !… qu’il en laissait miette à personne ! et que c’était le fameux appétit !… en plus le confort total !… crèche comme un roi !… et qu’était responsable de tout ! Verdun ! Vichy ! et du reste ! et de la misère qu’on se trouvait ! la faute à Pétain ! à lui ! lui, là-haut, soigné, comme un rêve !… tout son étage pour lui tout seul !… chauffé ! quatre repas par jour ! 16 cartes, plus les cadeaux du führer, café, eau de Cologne, chemises de soie… un régiment de flics à sa botte !… un général d’état-major… quatre autos…

Vous auriez pu vous attendre que ce ramas de loquedus sursaute ! se jette dessus ! l’étripe !… pas du tout !… juste un peu de soupirs !… ils s’écartent !… ils le regardent partir en promenade… la canne en avant ! et hop !… et digne ! il répond à leurs saluts… hommes et rombières… les petites filles : la révérence !… la promenade du Maréchal !… mais pas plus de pain que de saucisson… Hermilie de Hohenzollern salue pas, elle !… encore plus rêche, revêche qu’avant… Komm ! Komm !… que sa demoiselle vienne !… elles redisparaissent… elles nous disent même pas au revoir !… le trou par où elles étaient venues… la sorte de fente dans les cailloux… elle et sa suivante… juste à peine le temps qu’elles se faufilent… plus d’Hermilie !… plus de demoiselle !… elles étaient reparties sous le Château… ah ! elles avaient pas eu de pain non plus !… zut !… nous non plus !… flûte !… Lili, moi, Bébert on était venus un peu pour ça… pas le temps d’être tristes… je vois Marion ! je l’aperçois… Marion, le seul qu’a eu du cœur, qui nous a jamais oubliés… qu’est toujours venu nous apporter tout ce qu’il pouvait au « Löwen »… pas grand-chose !… des petits restes… surtout des petits pains… y avait des petits pains au Château… pas beaucoup, mais enfin trois quatre par ministre… ça compte d’être ministre, des moments… Marion pensait toujours à nous, et à Bébert… sa grande rigolade c’était que Bébert lui fasse Lucien… Lucien Descaves… Bébert, je lui mettais mon cache-nez… avec ses moustaches en bataille il faisait très bien Lucien Descaves… c’était notre moment de plaisanterie… ah ! que c’est loin !… j’y pense… fini Lucien !… fini Marion !… fini Bébert !… partis tous !… les souvenirs aussi !… tout doucement…

Je vous disais donc… j’aperçois Marion ! lui aussi était de la promenade… mais à grande distance de Pétain !… ils étaient pas à se parler… oh ! du tout !… tous les régimes, tous les temps, les ministres s’haïssent… et pire, au moment que tout croule, culbute !… fâcherie absolue !… l’effrénésie de toutes les rancœurs !… là, c’était au point qu’ils osaient même plus se regarder !… qu’ils en avaient sur la patate, qu’ils se seraient massacrés là à table, aux repas, d’un œil de travers !… ils aiguisaient leurs couteaux entre la poire et le fromage d’une façon si menaçante que toutes les épouses se levaient !… « Viens ! Viens !… » te faisaient sortir leurs ministres, généraux, amiraux !… qu’étaient imminents d’en découdre ! bouillants ! oh ! partout pareil !… que ce soit Berchtesgaden, Vichy, Kremlin, Maison-Blanche, entre la poire et le fromage, c’est pas des endroits à se trouver !… chez les Hanovre-Windsor non plus !… entre poire fromage… donc vous comprenez la promenade… distances ! Protocole !… pas question de bras-dessus bras-dessous !… très loin !… très loin les uns des autres !… le Maréchal, Chef de l’État, très en avant, et tout seul ! son chef d’État-Major Debeney, le manchot, trois pas en arrière, et à gauche… plus loin, un ministre… plus loin encore, un autre ministre… queue leu leu… séparés par au moins cent mètres… et puis les flics… la procession sur au moins trois kilomètres… on pourra dire tout ce qu’on voudra, je peux en parler à mon aise puisqu’il me détestait, Pétain fut notre dernier roi de France. « Philippe le Dernier »… la stature, la majesté, tout !… et il y croyait !… d’abord comme vainqueur de Verdun… puis à soixante-dix ans et mèche promu Souverain ! qui qui résisterait ?… raide comme ! « Oh ! que vous incarnez la France, monsieur le Maréchal ! » le coup d’« incarner » est magique !… on peut dire qu’aucun homme résiste !… on me dirait « Céline ! bon Dieu de bon Dieu ! ce que vous incarnez bien le Passage ! le Passage c’est vous ! tout vous ! » je perdrais la tête ! prenez n’importe quel bigorneau, dites-lui dans les yeux qu’il incarne !… vous le voyez fol !… vous l’avez à l’âme ! il se sent plus !… Pétain qu’il incarnait la France il a godé à plus savoir si c’était du lard ou cochon, gibet, Paradis ou Haute Cour, Douaumont, l’Enfer, ou Thorez… il incarnait !… le seul vrai bonheur de bonheur l’incarnement !… vous pouviez lui couper la tête : il incarnait !… la tête serait partie toute seule, bien contente, aux anges ! Charlot fusillant Brasillach aux anges aussi ! il incarnait ! aux anges tous les deux !… ils incarnaient tous les deux !… et Laval alors ?

Dans bien plus modeste, plus pratique aussi, le truc d’« incarner » vous fait encore de ces petits miracles ! l’alimentation, par exemple !… mettez que demain ils se remettent à nous rationner… qu’on arrive à manquer de tout… vous grattez pas !… le truc d’incarner vous sauvera !… vous prenez n’importe quel bisu, n’importe quel auteur provincial, et vous y allez, vous l’empoignez, vous le pétrifiez là, devant vous… « Oh ! Dieu de Dieu, mais y a que vous !… y a que vous pour incarner le Poitou ! » vous lui hurlez ! « Vos chères 32 pages ? tout le Poitou ! » Ça y est !… vous manquez plus jamais de rien ! à vous les colis agricoles !… vous recommencez en Normandie !… puis les Deux-Sèvres ! et le Finistère ! vous êtes paré pour cinq, six guerres et douze famines !… vous savez plus où les mettre vos dix, douze tonnes de colis ! les Incarnateurs donnent, renchérissent, inlassables ! suffit que bien vous leur répétiez qu’ils sont toute la Drôme dans leur œuvre ! le Jura !… la Mayenne !… Roquefort, si vous aimez le fromage !… je miragine pas : tenez, Denoël !… Denoël, l’assassiné… roublard, doublard s’il en fut, mais extrêmement belge et pratique… à tout prendre, là maintenant cadavre, si je le compare à ce qu’a suivi : joliment regrettable !… deux jours avant qu’on l’assassine je lui ai écrit de Copenhague : « foutez le camp… bon sang ! sauvez-vous !… votre place est pas rue Amélie !… » il est pas parti… les gens m’obéissent jamais… ils se croient parés marles !… grigri à l’oigne !… bon !… à leur aise !… toujours est-il, c’est un fait, jusqu’au moment qu’on l’assassine il a eu beurre à profusion, frometons, poulgoms, truffes… la table ample !… ravitaillerie à volo !… drôlement bien vécu !… par l’Incarnerie des Auteurs !… la révélation de leur Mission !… l’Annonce !… mais gafe !… attention !… je vous préviens !… le truc est magique !… facilement mortel !… vous en grisez pas !… la preuve : Pétain ! la preuve : Laval ! la preuve : Louis XVI ! la preuve : Staline !… vous y allez à fond, tout permis ?… salut !… Denoël à force de faire le Mage d’une province l’autre, de faire incarner celle-ci… celle-là… se sentait plus !… « Bravo ! Tabou ! tout j’ose !… » mais minuit Place des Invalides le truc a rompu ! un nuage, la Lune !… envolés les charmes !… Denoël ce qui l’a fini, ce qui l’a achevé de faire le con, c’est sa collection des « Provinces », les envoûtés folkloriques, les incar-neurs en transe de lieux !… chiadeurs en concours : Moi ! Moi ! Moi ! moi les Cornouailles… moi le Léon !… moi les Charentes !… épileptiques d’incarnation !

Croyez pas si extraordinaire ! « Envoyez Jeanne d’Arc par ici ! » je vous en trouve douze par préfecture !… et colis avec !… et rillettes !… mottes !… wagons de sacs de farineux !… dindes !… gardeuses et troupeaux !…

« Vous êtes retenu pour le Concours !… oh ! que vous incarnez le Cameroun !… » par ici bananes !… les dattes, ananas ! tout l’Empire y arrivait à table !… sur sa table !… je vous dis : rien manquait !… on peut dire que le pauvre Denoël avait vraiment bien mis au point la question d’approvisionnement…

Pétain c’était aussi le « J’incarne » ! c’est moi ! Impérial ! si il y croyait ?… oh, là !… il en est mort !… Incarneur total !

De baliverne en baliverne, je vous oublie !… nous en étions à la promenade… enfin, au départ… le Maréchal au pont-levis… Hermilie de Hohenzollern redisparue dans les sous-sols avec sa dame de compagnie… Pétain, Debeney, avancent bon pas, longent le Danube, la berge… la promenade rituelle… tout seuls en avant, et les ministres loin derrière… queue leu leu… boudeurs, nous dirons… la petite foule qu’était là grommelante, attendante, tous les sucs gastriques prêts à tout, avait plus qu’à vider les lieux… ça proteste… oh ! mais pas beaucoup… ça retourne à ses étables, soupentes, au Fidelis, à la forêt… rien à dire !… qu’à se gratter !… ça s’arrache !… ça part se gratter n’importe où…

Tout au-dessus des nuages la farandole continue ! escadres sur escadres d’R. A. F… et puis qui plongent vers le Château !… leur repère-balise le Château !… la boucle du fleuve… c’est là qu’ils tournent du Nord à l’Est… Munich… Vienne… escadres sur escadres… on sera pas détruits, le bruit qui court, parce que tout le Château est retenu par l’Armée Leclerc… il est déjà à Strasbourg… avec ses fifis et ses nègres… la preuve ce qu’il arrive !… fuyards, réfugiés, calots comme ça !… de ce qu’ils ont vu !… les décapitages en série !… coupe-coupe ! les Sénégalais à Leclerc !… le sang à flots, plein les ruisseaux !… ce qu’on peut s’attendre d’un moment l’autre, nous !… ça que les galeux peuvent méditer !… ce qu’ils ont à se dire dans leurs soupentes, les 1142 « Mandats » !

À bien réfléchir, historique, Pétain, Debeney, étaient qui dirait, plus en scène… plus rien d’autre du tout à foutre en scène ! l’acte encore de « l’Empire Français » !… rideau ! aux Sénégalais ! l’acte suivant !… Pétain fini d’incarner !… la France a marre ! qu’il rentre, qu’on le tue !… la page tourne ! là, il profite qu’il est loin, il a l’air encore de quelque chose, lui et Debeney, et sa queue leu leu de la promenade… et qu’ils sont bien sapés les bougres !… chaussures impeccables… partent d’un bon pas !… la berge du Danube, ce petit fleuve si violent, si gai, éclaboussant, jetant sa mousse jusqu’au haut des arbres… le fleuve optimiste, d’un immense avenir !… oui mais l’Armée Leclerc, pas loin… et ses Sénégalais coupe-coupe… les gens savent pas, presque jamais, qu’on joue un autre acte, au moment, qu’ils sont de trop ! qu’ils sont plus du tout dans la scène, qu’ils devraient s’effacer… non ! non !… ils s’entêtent !… ils ont eu le beau rôle ils le gardent ! à l’éternité !… le Maréchal et Debenev à leur promenade quotidienne… bords de l’Allier… bords du Danube… promenade et Chef d’État, c’est tout !… nous ce qui nous intéressait, Lili, moi, Bébert, c’était Marion… Marion, les rognures de leurs tables, et les petits pains… en plus, Pétain c’était mieux qu’il m’aperçoive pas… Marion à l’Information venait presque en tout dernier de la queue… le Protocole est ainsi, d’abord le glaive ! le glaive : Pétain !… et puis la Justice !… et puis les Finances !… et puis les autres !… les mégotteux, les dits : récents ! les ceux qu’ont pas plus de trois, quatre siècles !… les vrais ministres, les ceux de « poids » doivent remonter à Dagobert !… Justice !… Saint Éloi voilà un ministre !… Marion et son Information ? pas cinquante années !… pas regardable ! par exemple pour nous trois Bébert, le seul qui comptait !… il s’agissait donc, pas d’histoires ! de nous adhérer à la promenade, catiminois !… qu’il puisse nous refiler les petits pains et les rognures, sans que personne gafe !… Mattey était pas très élevé dans la procession des promenades… c’était qu’après Sully son rang !… deux cents mètres après la Marine, les amiraux, François Ier !… en pardessus noir, Mattey, la gravité « ordonnateur », feutre noir, cent mètres devant nous… « Je vous demande, monsieur Mattey, de faire manger les Français ! »… comme ça qu’il s’était fait recruter Mattey noir vêtu… « Mattey ! labourage ! pâturage ! »… s’il avait foncé !… comme Bichelonne pour les chemins de fer !… « Bichelonne, vous ferez rouler la France ! » maintenant ils avaient plus qu’à suivre… cent mètres avant l’Information, et moi et Lili et Bébert… oh, j’oubliais !… très sinueux, tourmenté, le Danube !… et puis tout d’un coup large ! très large… et plus du tout brisant, mousseux… un grand plan d’eau calme… tout de suite après le pont du chemin de fer… là, les canards nous attendaient… ils attendaient Bébert, plutôt… ils étaient bien une bonne centaine qui nous lâchaient plus !… ramaient dur des pattes, nageaient presque au ras du bord pour bien tout regarder notre Bébert… ah, un autre animal aussi !… je vous oubliais !… l’aigle !… on l’avait aussi !… il venait aussi à cet endroit, mais à distance !… lui pas du tout comme les canards !… très distant !… dans les prés sur le haut d’un très haut poteau, tout seul !… lui était pas à approcher !… non !… l’aigle Hohenzollern !… il nous voyait… on le voyait… il s’envolait pas !… il remuait un petit peu, selon nous, en même temps que nous, de loin… il pivotait sur son poteau… lentement… je crois qu’il regardait surtout Bébert… Bébert le savait… lui, le greffe terrible indépendant, le désobéissant fini, s’il nous collait aux talons !… il se voyait déjà agrippé !… Ce qu’est beau dans le monde animal c’est qu’ils savent sans se dire, tout et tout !… et de très loin ! à vitesse-lumière !… nous avec la tête pleine de mots, effrayant le mal qu’on se donne pour s’ember-lifiquer en pire ! plus rien savoir !… tout bara-fouiller, rien saisir !… si on se l’agite ! la grosse nénette !… dégueule !… peut plus !… plus rien passe !… pas un milli d’onde !… tout nous frise !… file !…

Là, l’aigle royal Hohenzollern était le maître de la Forêt et des territoires jusqu’en Suisse… il faisait absolument ce qu’il voulait !… personne pouvait l’intimider… le commandement de la Forêt Noire !… troupeaux, lapins, biches… et les fées… à chaque promenade il était là, même pré, même poteau… il nous aimait certainement pas…

Après mettons deux kilomètres de berge du Danube vous voyiez surgir une silhouette… ça manquait jamais : une silhouette à gestes… signes d’avancer !… ou de reculer !… signes que Pétain avance encore… ou fasse demi-tour !… on la connaissait ! silhouette !… c’était l’Amiral Corpechot, il avait la garde du Danube, et le commandement de toutes les flottilles jusqu’à la Drave… il voyait venir l’offensive russe : le Maréchal en pleine promenade !… la flotte fluviale russe remonter le Danube !… il était certain !… il s’était nommé lui-même : Amiral aux Estuaires d’Europe et Commandant des deux Berges… il voyait la flotte russe de Vienne passer la Bavière et prendre le Wurtemberg à rebours !… et Siegmaringen !… forcément ! et toute la « collaboration »… et surtout Pétain !… il voyait Pétain kidnappé !… ficelé fond de cale d’un de ces engins submersibles qu’il avait vu sortir de l’eau !… oui ! lui !… amphibies !… qui pullulaient passé Pest !… Corpechot me racontait tout !… je le soignais pour son emphysème… il avait eu connaissance de tous les plans russes ! matériel et stratégie ! il savait même le fin du fin de leur dispositif aéro-aquo-terrestre, la catapulte par hydrolyse, le système Ader renversé, sous-nautique !… vous dire ce qu’on pouvait s’attendre !… j’étais jamais étonné de voir Corpechot surgir, une berge l’autre, nous faire des signes que la promenade était finie, que les Russes étaient signalés !… pas de surprise pour Pétain non plus… il faisait demi-tour… les ministres avec… vous pensez que ce Corpechot on l’avait arrête dix fois… vingt fois !… et vingt fois relâché !… plus aucune place dans les Asiles !… plus aucune place d’abord nulle part et pour personne !… fous pas fous !… c’était se planquer n’importe où !… fous !… pas fous… tous les alibis !… tous les combles ! étables… bunkers !… arrière-boutiques ! et les salles d’attente des gares… la cohue totale ! des villages entiers sous les trains… à passer la nuit… recroquevillés… et dans la forêt !… des grottes d’où les gens sortaient plus ! venus de tous les coins d’Europe…

Je vous disais que Corpechot s’était promu amiral… il trouvait qu’il avait des titres, bien plus de titres que ceux du Château, amiraux de bureaux, du grand État-Major Darlan !… et d’abord l’article 75 !… décoré de l’article 75 !… pas inventé celui-là… mandat et tout ! très réel ! traqué sérieux !… la preuve comme il était parti !… poil !… le dernier train ! gare de l’Est !… ils y avaient pu piquer que son fils, sa femme, sa belle-sœur… tout ce joli monde à Drancy !… une minute de plus ils l’avaient !… et c’était vrai !… j’avais lu le rapport chez Brinon… et son curriculum exact… il avait été échotier et puis rédacteur en chef du grand hebdomadaire yachtique « Bout dehors ! » vous pouviez parler de lui à Brème, à Enghien ou à l’Île de Wight !… on s’inclinait !… il faisait qu’un avec les régates !… « Corpechot l’a dit !… » c’était tout ! l’autorité ! si Dœnitz l’avait eu facile !… « Corpechot vous êtes la Marine ! über alles !… vous vengerez la France et Dunkerque ! » là-dessus ils s’étaient embrassés… « Trafalgar ! Trafalgar !… » d’où vous le trouviez là, l’article 75 au derrière… et toute sa famille à Drancy… mais qu’il savait plus quoi ni quès !… Corpechot-vous-êtes-la-Marine !… vous pensez qu’il avait fallu qu’il se donne « Corpechot-vous-êtes-la-Marine » ! qu’il mérite !… d’abord à Hambourg… puis à Kiel… puis à Warnemünde… pour Dœnitz !… Kriegsmarine ! d’un camp l’autre !… là alors le coup d’avancement !… « Commandant des Forces du Danube » !… tous les plans d’eau Wurtemberg-Suisse !… et donc la sauvegarde de Pétain, jusqu’où il avait le droit d’aller… pas loin ! pas plus loin !… demi-tour !…

Certes en l’air, le ciel ça allait !… l’Anglais battait de l’aile !… y avait qu’à voir leurs pauvres avions qu’osaient même pas nous bombarder ! intimidés par le Château ! foutus !… mais les Russes ?… leurs sous-marins amphibies ? Corpechot perdait pas de vue le fleuve, la moindre vaguelette : le traître Danube ! le péril russe ! il s’était monté des petits tertres… chaque coude… des sortes de petits sémaphores… des hunes… de là vous pouviez lui parler !… lui raconter la R.A.F. ! vous le faisiez tordre, plier en quatre ! pouffant saugrenu que vous étiez !… les bombes ?… c’est lui qui en éclatait ! « Ah ! par exemple !… ah ! par exemple ! vous regardez que le Ciel ! vous aussi ! pique-la-Lune !… grotesque ! incroyable ! mais c’est par le fleuve qu’ils viendront ! voyons ! regardez !… regardez-le ! regardez-vous-même !… » et il vous passait sa jumelle… sa grosse Licca… pas à plaisanter du tout !… « Vous avez raison, Amiral !… » personne le contredisait !… sitôt que Pétain l’apercevait, demi-tour !

Comme ça un moment de la fin des régimes personne contredit plus personne… les plus énergumènes sont rois… Corpechot, un geste, Pétain, Debeney lui obéissaient… Corpechot couchait à la dure, au fond d’un fourré… un autre… et tout de même il avait de la tenue… absolument impeccable !… la tenue d’amiral, la très haute casquette… et souliers vernis !… il s’était fait habiller tel, là-haut, au Dépôt, entre deux bombardements… le teint vermeil, gros nez, grosse panse… double pèlerine !… tenue de « Grand temps » sur l’Océan !… sa Licca balançant sur le bide… vous l’auriez trouvé rue Royale, vous vous seriez écrié tout de suite : « Oh ! mais pas d’erreur ! l’Amiral !… il est la Marine !… il incarne !… » pas compliqué, pas difficile, les vrais authentiques et les dingues… la seule différence… l’endroit qu’ils se trouvent !… Rue Royale ou sur les bords du Danube… vingt fois… cent fois !… Pétain avait fait écrire à Abetz que ce Corpechot était de trop ! amiral ou pas ! qu’il en avait assez des siens !… tous les étages… ministres et cadres supérieurs !… qu’on l’espionnait à la promenade !… Abetz y pouvait zéro ! au moment où tout fout le camp c’est plus qu’à regarder et se taire… Vichy, le nonce du Pape… Corpechot-Danube… pas contredire !… trouiller le changement d’acte, tenir la scène encore un peu… le moment que tourne la Page !… Deloncle ?… Swoboda ?… ou Brinon ? ou Navachine ? avec mitraillette ou sans… ou Juanovici ?… Stalin ? ou Pétain ?… ou Gourion ? le commandement de Corpechot qui compte !… tous, demi-tour !… toute la Maison Militaire… et la queue leu leu des Ministres… et les autres huiles… et nous quatre, Marion, Lili, moi, Bébert… il s’agissait pas que la flotte nous coiffe avant le grand pont !… le « triple-voie-portées-métalliques »… finie la promenade !… retour au Château… atteindre le grand pont !… même berge, sens inverse… les derniers deviennent les premiers ! demi-tour ! demi-tour !… les chefs de Partis en avant !… Bucard et ses hommes… Sabiani ses hommes… Bout de l’An et ses hommes… je note à propos, qu’Hérold Paquis, aussi menteur éhonté que Tartre, a jamais foutu les pieds à Siegmaringen, il est resté 70 bornes sur son île, bouffer ses conserves… il a jamais rien vu du tout… sauf son casier judiciaire… Doriot est jamais venu non plus… on a jamais vu que sa voiture, criblée, dentelée… ce que c’est d’être sorti de Constance !… la bonne vie, sauf la gale… la gale comme nous plus que nous !… pour la question de la promenade, Déat en a jamais été… géant de la pensée politique il préférait partir tout seul au fond des bois… il frayait peu… il préférait… il mettait au point un certain programme de l’« Europe Burgonde et Française », avec élections primo-majoro-pluri-différées… il méditait…

De réfléchir, méditer ainsi, je pense au Noguarès… qu’est-ce qu’il vient foutre écrire de Siegmaringen ? l’avait qu’à venir ! satané le pompeux clancul ! qu’il s’en gardait comme chier au lit !… pas plus vous avez vu Charlot descendre en tranchée, bazouka en poigne, refouler les tanks fritz !… rusés matous !… « gratuits » tous !… jamais payeurs !.. putains de festivals !… que je les verrais tous, durs purs sûrs, à la terrasse des « Trois Magots »… signer leurs portraits avec le sang d’admirateurs… milliards cocus !…

Tout ça, je m’enfièvre !… en fait de méditer ! je vous laisse le Philippe en panne !… je vous racontais… demi-tour ! le retour au Château… nous du coup on passait en tête avec Marion l’Information… enfin presque en tête juste derrière les Chefs de Partis… ce demi-tour a donné un jour une bonne rigolade… j’ai pas eu encore l’occasion de vous faire beaucoup rire… au pont métallique du « chemin de fer » toute la caravane s’arrête pile !… sous la première arche !… oh ! pas pour l’alerte ! c’était l’alerte perpétuelle… les sirènes finissaient pas… mais la R.A.F. cherchait le pont… juste le pont ! au moment précis !… pas du mirage !… ils lâchaient tous leurs chapelets de bombes au-dessus du pont, à pic ! tout à trac !… trois quatre avions à la fois… comment ils faisaient pour le louper ?… leurs chapelets de bombes faisaient geysers ! le Danube en bouillait ! et de ces éclaboussements de vase !… et dans les labours !… trois… quatre kilomètres dans les champs !… nous on était pressés sous l’arche, agglomérés contre l’énorme pilier granit… c’était l’occasion de pisser, tous les ministres, et les Partis, et le Maréchal… je connaissais tous leurs prostates… certains avaient des gros besoins… pour ça, plus commode, les buissons !… les voilà partis aux taillis… au moment, j’ai le souvenir exact, arrive dans l’autre sens, tout un détachement de prisonniers, avec leurs gardes, des landsturm… prisonniers et « territoriaux » pas plus nerveux les uns que les autres… prisonniers russes et vieux boches… si las !… si las !… aussi maigres les uns que les autres, traînant la guibole… et aussi en loques !… les fritz, à fusil, les autres, sans… vers où ils allaient ?… quelque part !… on leur a demandé… ils comprenaient rien… ils entendaient même pas les bombes… alors, pensez ! nous, nos questions !… ils allaient la même berge que nous, c’est tout… sens inverse…

Bridou a eu fini de pisser… il se l’est secouée… bien secouée ! et il a dit : « Agissons, messieurs ! Agissons ! » agir quoi ?… il a donné son idée… « qu’on s’égaille ! »… principe de la Cavalerie !… « en fourrageurs » !… tous en « fourrageurs »… combien on était là sous l’arche, tassés contre la pile ?… à peu près trente… je voyais que Bridou avait raison, les bombes arrivaient plus proches… plus proches… elles moucheraient le pont, bientôt… quand même !… ça finirait cette maladresse !… nous là tout le groupe bien hésitants… ministres, Partis, flics franco-boches, pas chauds pour les « fourrageurs » !… on pouvait toujours suivre les Russes… les prisonniers branquillonnants… certes ! ils devaient aller quelque part ?… ils devaient avoir une idée ?… ils disaient rien… à travers champs… suivre les prisonniers… là, je dois vous noter un fait, Mme Rémusat et sa fille gisaient dans la vase, à même la vase, à plat ventre… la vase de la berge… un cratère de bombe… elles étaient venues aux pissenlits… toutes couvertes de boue elles étaient !… une épaisseur !… elles avaient eu extrêmement peur, certainement… elles bougeaient plus… mortes ou pas mortes… peut-être ?… toujours, elles étaient à plat ventre !… j’ai jamais eu de leurs nouvelles… elles demeuraient à l’autre bout du bourg… je vous disais les prisonniers russes et leurs gardes landsturm s’éloignaient à travers les champs… ils nous avaient même pas regardés… les bombes leur tombaient pas loin… si fatigués, si somnambules, ils avaient l’air qu’ils pouvaient plus s’arrêter… les bombes leur arrivaient autour, presque dessus !… sur nous aussi ! fichtre !… le carrousel dans l’air !… ce qu’ils voulaient, pas sorcier, c’était crouler le pont !… le pont de tout le trafic Ulm-Roumanie… percuter !… nous en plein dessous !… Pétain et la procession ! Mimis ! ils finiraient pas viser juste !… tout le pont sur le rab ! oh ! la tripaille, ferraille, madame !… maladroits têtus !… ronds dans l’eau !… je regardais Mme Rémusat et sa fille à la cueillette aux pissenlits… plat ventre !… les ministres se reculottaient… ils parlaient tous à la fois… y avait des « pour »… y avait des « contre »… avancer ? ensemble ?… ou prendre l’autre berge ?… les généraux, les amiraux, décidaient en « fourrageurs » ? ou queue leu leu ? rattraper les prisonniers russes ? alors à travers les luzernes ? si on restait là, une chose sûre, nos têtes, qu’on prendrait le pont ! totalité ! leurs bombes éclataient presque sur nous ! plein le Danube !… amont ! aval !… ils rectifiaient !… de ces formidables levées de vase ! tombereaux devant nous… de ces cratères dans les berges ! vrong ! vlaaf !… soufflés, plaqués contre la pile !… ministres, généraux et les gardes… et moi et Lili et Bébert… au moment là vraiment tragique Pétain qu’avait encore rien dit… l’a dit !… « En avant ! » et montré où il voulait ! « En avant ! »… sa canne ! « En avant ! »… qu’on sorte tous de dessous l’arche ! qu’on le suive ! « En avant ! »… que ça se reculotte !… « En avant ! »… lui-même avec Debeney, dehors ! oh ! sans aucune hâte… très dignes ! direction : le Château !… qu’on s’est replacés la queue leu leu… tous les ministres et les Partis… les bombes continuaient d’attaquer le pont… nous, nous autres, notre queue leu leu ça a été rafales sur rafales !… jusqu’au Château !… à la mitrailleuse… c’est bien sur nous qu’ils tiraient !… mais ils tiraient mal !… je voyais les rafales ricocher… sur l’herbe !… sur l’eau !… les herbes sauter, fauchées !… ils tiraient comme des cochons !… la preuve, personne fut touché !… et ils passaient au ras du fleuve !… Pétain parlait avec Debeney… ils allaient leur pas, absolument sans se presser… les ministres non plus… sur au moins deux kilomètres… la ribambelle a pas dévié d’un centimètre… je vois encore Bichelonne, devant nous… il boquillonnait dur, Bichelonne… c’était avant qu’on l’opère… il avait plus beaucoup de temps à boquillonner… il est mort de l’opération, il a voulu se faire opèrer à Hohenlynchen, là-haut, Prusse-Orientale, je vous raconterai… pour le moment je suis à Pétain… le retour au Château… le chef en tête… et sous les rafales !… et toute la queue leu leu de ministres généraux amiraux… bien rajustés reboutonnés… très dignes… et à distance !… j’insiste parce que question de Pétain on a raconté qu’il était devenu si gâteux qu’il entendait plus les bombes ni les sirènes, qu’il prenait les militaires fritz pour ses propres gardes de Vichy… qu’il prenait Brinon pour le Nonce… je peux rétablir la vérité, je peux dire moi qu’il détestait, je parle en parfaite indépendance, qu’il aurait pas pris le commandement au moment du pont, fait démarrer la procession, personne réchappait ! elle aurait jamais eu lieu l’Haute-Cour ! le Noguarès non plus ! j’ai vu, moi je peux le dire, le Maréchal sauver l’Haute-Cour !… sans lui, sans sa froide décision, jamais un serait sorti de sous l’arche !… pas un ministre pas un général !… ni des fourrés ! c’était la fin ! sans réquisitoires ! et sans verdicts ! bouillie totale ! pas besoin d’Île d’Yeu non plus !… la décision à Pétain qu’a fait sortir tout le monde de sous l’arche !… comme c’est le caractère à Pétain qui fit remonter l’armée en ligne au moment de 17… je peux parler de lui bien librement, il m’exécrait… je vois encore les balles tout autour… la berge, le halage, criblés !… surtout autour de Pétain !… il voyait, s’il entendait pas !… tout le parcours jusqu’au pont-levis !… giclées sur giclées !… ah ! pas un mot !… ni lui, ni Debeney… parfaitement dignes… et le plus drôle : pas un seul touché !… ni Lili, ni moi, ni Bébert, ni Marion !… au pont-levis, arrêt, salut !… dispersion ! personne attendait plus rien ! chacun chez soi !… les R. A. F. tiraillaient plus… remontés au Ciel ! nous, Lili, Bébert, avions plus qu’à quitter Marion… mais moi quatre petits pains en fouille !…

Ma consultation !… c’était l’heure ! au premier étage du Löwen, au N°11, notre taudis… je dis : taudis !… oui !… deux paillasses… et quelles !… j’en ai vu d’autres, certes !… bien d’autres !… on se dit donc : au revoir… on s’embrasse avec Marion… qu’on était pas certains de se revoir !… jamais !… lui avait sa chambre au Château, au troisième étage, la plus petite chambre !… je vous ai dit, pour le Protocole, l’Information, c’était infime… Marion, mettons chez Dagobert, à Clichy-sur-Seine, aurait pas eu un escabeau !… si vous voulez pas vous tromper pensez toujours à saint Éloy !… toutes les impostures commencent à l’an 1000 ! la jean-foutrerie s’étale !… Excellences patatipata !… guignol » ! plus aucune préséance sérieuse !… moi là toujours une chose sérieuse, pas jean-foutre, ma consultation !… comment nous étions installés, je vous raconterai… vous pourrez aller vous rendre compte…, j’ai lu bien des reportages ci !… là !… sur Siegmaringen… tout illusoires ou tendancieux… travioles, similis, faux-fuyards, foireux… que diantre !… ils y étaient pas, aucun ! au moment qu’il aurait fallu !… je vous parle énormément de W.C… particulièrement ceux du « Löwen »… c’est qu’on était sur le même palier, la porte en face, et qu’ils désemplissaient pas ! tous les gens de Siegmaringen, de la brasserie, et des hôtels, venaient aboutir là, forcément… la porte en face !… tout le vestibule, tout l’escalier étaient bourrés jour et nuit de personnes à bout, injurieuses, râlantes que c’était la honte !… qu’ils en avaient assez de souffrir !… qu’ils faisaient sous eux !… qu’ils pouvaient plus !… et c’était vrai : tout l’escalier dégoulinait !… et notre couloir, donc ! et notre chambre ! vous pouvez pas plus laxatif que le Stamgericht, raves et choux rouges… Stamgericht plus la bière aigre… à plus quitter les W.C. !… jamais ! vous pensez tout notre vestibule grondant pétant de gens qui n’en pouvaient plus !… et les odeurs !… les gogs refoulaient ! il va de soi !… ils arrêtaient pas d’être bouchés !… les gens entraient à trois… à quatre !… hommes, femmes… enfants… n’importe comment !… ils se faisaient sortir par les pieds, extirper de vive force !… qu’ils accaparaient la lunette !… « ils rêvent ! ils rêvent !… » si ça mugissait !… le couloir, la brasserie, et la rue !… et que tout ce monde se grattait en plus… et se passait, repassait la gale et morpions… et mes malades !… méli-mélo… qu’ils y allaient forcément aussi pisser sur les autres et partout ! il était vivant notre couloir !… aussi des gens pour von Raumnitz… je vous expliquerai von Raumnitz… une autre affluence, pour son bureau, un de ses bureaux, l’étage au-dessus… ceux-là allaient aussi aux gogs la porte en face… le moment le plus magique c’était tous les jours quand les gogs vraiment pouvaient plus… vers huit heures du soir… qu’ils éclataient ! la bombe de merde !… du trop-plein du tréfonds !… tous les soulagements de la brasserie de la veille et du jour !… alors un geyser plein le couloir !… et notre chambre ! et en cascade plein l’escalier !… vous parlez d’un sauve-qui-peut !… mêlée-pancrace dans la matière ! tous à la rue !… c’était le moment Herr Frucht s’amenait ! tenancier du Löwen ! Herr Frucht et son jonc !… il avait vraiment tout tenté pour sauver ses gogs… mais aussi responsable lui-même !… c’était lui le tôlier, la tambouille aux raves ! lui la brasserie ! le restaurateur !… cinq mille Stamgericht par jour ! pas être surpris que les lieux débordent ! Herr Frucht montait avec son jonc ! touillait ! retouillait ! refaisait fonctionner la tinette !… et replaçait un autre cadenas… vissait !… vissait !… que plus personne puisse ouvrir ! basta ! deux minutes qu’il était parti ses chiottes étaient re-re-pleins ! les gens à se battre ! et plein le vestibule !… Herr Frucht, qu’était pas Sisyphe, avait beau jurer « Teufel ! Donner ! Maria ! » ses clients du Stamgericht y auraient plus qu’inondé sa tôle ! submergée sous des torrents de raves ! s’il avait coincé sa lunette, vraiment empêché les clients ! cimenté le trou !… il menaçait mais il osait pas…

Nous toujours au 11 on pataugeait ! j’insiste pas… on s’y fait et il fallait !… ce qu’était à craindre, ce que je craignais, pire que cet inconvénient, c’est qu’on nous expulse !… nous expulse à la manière boche, c’est-à-dire perfide, raisonnable, « pour le confort général ! »… que pour les malades c’était mieux que je déménage… que je consulte ailleurs… etc… etc… trop de tohubohu !… toutes sortes de raisons que je décampe… bruits ? bruits ? bruits ?… j’en ai entendu bien d’autres !… croyez !

Question de ce très large vestibule, je vous explique (très bas de plafond, je précise) y avait pas que ma consultation… et les clients aux cabinets… y avait les clients de von Raumnitz… Baron Commandant von Raumnitz… la chambre juste au-dessus de la nôtre… N°26… je vous reparlerai de ce von Raumnitz… je digresse encore… à vous balader je vais vous perdre !… je veux trop vous montrer à la fois !… j’ai l’excuse de ceci… cela !… d’une certaine précipitation… Nous avons quitté le Maréchal… le pont-levis rabaissé… nous remontons nous, au Löwen… je vous fraye un passage… il faut !… la cohue d’abord, du trottoir… puis du vestibule !… une vraie foule qui veut faire pipi… y en a partout !… j’écarte… j’écarte… et je tape dans notre porte : le 11 ! notre cagna…

Il faut beaucoup pour me surprendre mais tout de même là je regarde deux fois !… sur ma propre paillasse, celle de droite, un homme étendu, tout débraillé, déboutonné, et qui dégueule et qui râle… et au-dessus à califourchon, un chirurgien !… enfin un homme en blouse blanche et qui s’apprête à l’opérer de force ! trois, quatre bistouris à la main !… le miroir frontal, les compresses, les pinces !… aucun doute !… derrière lui, plein dans la gadoue, l’urine, son infirmière !… blouse blanche aussi !… et grosses boîtes métalliques sous le bras…

« Qu’est-ce que vous faites ? »

Je demande !… j’ai le droit ! en plus que celui du dessous hurle !…

« Docteur ! Docteur ! sauvez-moi !

— De quoi ?… de quoi ?

— C’est vous que je venais voir Docteur ! les Sénégalais ! les Sénégalais ! !

— Alors ?… alors ?

— Ils ont coupé toutes les têtes !

— Celui-là est pas Sénégalais ?…

— Il veut commencer par l’oreille !… c’est vous que je venais voir Docteur !

— Il est pas Sénégalais lui ?

— Non !… non !… c’est un fou !…

— Vous venez d’où, vous ?

— De Strasbourg, Docteur ! je suis garagiste à Strasbourg ! ils ont coupé toutes les têtes !… ils viennent !… ils viennent ! je suis garagiste ! j’ai soif Docteur !… faites-le lever Docteur ! il m’étrangle !… il va me mettre son couteau dans l’œil !… faites-le lever, Docteur ! »

C’était une situation… toujours avec ses bistouris, fou pas fou, c’était vraiment mieux et tout de suite, que la police lui demande ses papiers !… et qu’elle foute tout le monde à la rue, la police !… tout le monde toute la rue s’était engouffré dans la chambre ! dans le couloir, les gogs, avec le dingue et l’infirmière !… jamais j’y arriverais, moi seul faire vider les lieux !… déjà la piaule, nos deux grabats, la cuvette, vous étiez coincé !… la foule en plus !

Moi question de l’ordre, c’était Brinon ! je dépendais de lui… c’était que j’y aille !… c’était lui de prévenir la police !… une des polices ! et que c’était un foutu désordre, tout le Löwen, les gogs et le couloir ! je me tâte pas longtemps dans les circonstances délicates… le chirurgien fou, l’autre sous lui… qui beugle !… c’était pas à atermoyer ! déjà Lili avait remis Bébert dans son sac… jamais l’un sans l’autre !… elle m’attendrait chez Mme Mitre… j’irai voir Brinon tout seul… Mme Mitre dirigeait l’administration… vraiment la personne de très grand cœur et de très grand tact… vous pouviez parler avec elle… c’est elle qui devait répondre ceci… cela… aux dix mille… cent mille plaintes par jour !… vous pensez si ça se plaignait 1142 à mandats ! et femmes et enfants !… de tout ! et pour tout ! et les « travailleurs en Allemagne » et les quarante-six sortes d’espions ! et la moucharderie générale !… qu’on arrête tel !… telle !… et Laval !… et Bridoux !… vite !… Brinon !… et moi-même ! et Bébert ! l’exil, marmite des dénonciations ! bouille ! bouille !… qu’est-ce qu’ils ont dû avoir à Londres !… mettez dix ans de Londres, il en revenait pas un pendus !… centuple les dénonciations !… surtout les condamnés à mort ! la toute si pauvre suinteuse calebombe qui vous cligne au fond d’un grenier… vous grattez pas !… c’est tel ! tel condamné à mort, qui sue tremble trempe à griffonner mille mille horreurs sur tel et tel autre paria, voué à la torture saligaud ! tant plus le dénoncer aux Fritz ! à la Bibici ! à Hitler ! au Diable ! ah, que Tartre m’appert puéril morvaillon raté tout pour tout !… là je vous parle de vrais incarnés délateurs ! la tête déjà sous le couperet ! les conditions, une fois par siècle !… saluez !… complots ? des complots à remuer à la pelle ! plein la Milice !… plein le Fidelis !… l’Intelligence Service partout ! quatre postes émetteurs nuit et jour sur tout ce qui se passait ! là ! là… vous pouviez très bien les entendre… au Prinzenbau même ! (notre mairie)… nos noms… prénoms… faits… gestes… intentions… minute par minute… douze douzaines de férues bignolles, perroquettes, blanquettes, bien agrippées à nos couilles, auraient pas fait mieux, pas donné des pires ragots ! je dis !… on savait ! mais la vie est un élan qu’il faut faire semblant d’y croire… comme si rien était… plus oultre ! plus oultre ! moi je devais recevoir au « 11 »… mes 25… 50… malades ! leur donner ce que je pouvais pas… pommade au soufre qui venait jamais… gonacrine, pénicilline que Richter devait recevoir… qu’il recevait jamais !… la vie c’est l’élan… et de se taire !… dans une occasion, plus tard, j’ai pratiqué à Rostock, Baltique, avec un confrère, le Docteur Proséidon, qui revenait du Paradis de l’Est… il avait la grande habitude… le visage qu’il faut avoir dans les États vraiment sérieux… l’expression de jamais plus penser !… jamais plus rien !… « Même si vous ne dites rien, ça se voit !… habituez-vous à rien penser ! » l’admirable confrère ! qu’est-il devenu ?… il voyait le Paradis partout ! « Si Hitler tombe, vous n’y coupez pas ! » parole d’un fort intellectuel : « L’Europe sera républicaine ou cosaque ! »… elle sera les deux, foutre ! et chinoise !

Bien ! bien ! vous me demandez rien ! je vous dis ce que je pense !… mettez le Gazier en cosaque… les toubibs muets ! leurs mémères muettes !… mon confrère Proséidon était resté là-bas quinze ans… au Paradis !… « Pendant quinze ans j’ai ” ordonné “, prescrit… pendant quinze ans mes malades ont porté mes ordonnances au pharmacien… ils sont toujours revenus bredouille… il avait pas !… oh sans protester ! pas un mot !… les malades non plus… pas un mot !… moi non plus… pas un mot !… » quand M. Gazier, cosaque, saura vraiment tout son métier, il y aura plus un mot à dire… nous là à Siegmaringen on était pas encore au point… on avait encore des idées… des sortes d’espèces de prétentions… je protestais pour la gale, le soufre que j’aurais dû avoir… comme Herr Frucht pour ses cabinets, qu’ils auraient dû fonctionner… je manquais encore beaucoup de dressage ! Herr Frucht est mort fou, plus tard… plus tard…

Zut ! à ma chambre !… le chirurgien hurluberlu et sa victime hurlant sous lui… m’appelant : au secours ! il fallait tout de même que j’avise ! qu’on me déblaye ma piaule ! je dis à Lili : « assez de scandale ! au Château ! »… j’emmène Lili… Lili-Bébert… j’avais la carte permanente… « priorité et à toute heure » j’avoue !… priorité !… par la poterne sous la voûte… et la pente creusée en plein roc !… vous auriez vu un peu cette voûte !… splendide montée cavalière… vers la Cour-Haute !… la Salle des Trophées !… toute la voûte, hauteur de Lances ! vous y auriez vu monter, facile, trois… quatre escadrons botte à botte ! l’ampleur d’une époque… et Croisades ! de cette Cour-Haute, tout de suite à droite, l’antichambre Brinon… je laisse Lili chez Mme Mitre, et je serre la main du planton, soldat de France ! un vrai ! oui ! oui !… à fourragère !… tout !… et même médaillé militaire… comme moi !… toc !… toc ! il frappe, il va m’annoncer, je veux parler à M. de Brinon !… je suis reçu tout de suite… il est là comme je l’ai connu place Beauvau… et le même bureau à peu près… peut-être pas tout à fait aussi grand… moins de téléphones… mais la même tête, la même expression, le même profil… je lui parle, je lui dis très respectueusement qu’il pourrait peut-être ?… etc… etc… mon Dieu ! mon Dieu ! il savait déjà !… et bien d’autres choses !… les gens en place lisent tant de rapports ! et reçoivent au moins cent bourriques par jour ! vous pouvez rien leur apprendre !… Sartine ! Louis XIV ! il savait tout ce qu’on disait de lui, Brinon… qu’il était M. Cohen… pas plus de Brinon que de beurre au chose !… pas plus que Nasser est Nasser !… petites devinettes pour assiettes !… que sa femme Sarah lui dictait toute sa politique… et par téléphone… dix fois par jour, de Constance ! tous les agoniques s’en marraient ! tout le Fidelis ! et les tables d’écoute des bunkers… toutes les polices !… et Radio-London !… tout !… il savait, et il me regardait que je savais… à un moment, y a plus de secrets… y a plus que des polices qu’en fabriquent… moi je venais lui parler de notre chambre, qu’il serait bien aimable de faire envoyer un petit renfort d’un peu de gendarmes ! que je pouvais plus recevoir personne… que mon lit était occupé… que tout l’hôtel était archi-comble !… que c’était un désordre extrême !… je lui donne les détails sur le dingue et son infirmière…

Brinon était d’assez sombre nature, d’expression… dissimulé… une sorte d’animal des cavernes (X dixit)… à son bureau il répondait presque plus… il était pas sot… j’ai toujours eu l’impression qu’il savait très exactement que tout était plus que la chienlit, question de jours…

« Oh, vous savez, un médecin fou !… il est pas le seul !… pas le seul, Docteur !… nous savons que sur nos douze médecins soi-disant français, soi-disant réfugiés français, dix sont fous… fous bien fous, repérés échappés des asiles… en plus écoutez-moi, Docteur ! Berlin nous envoie, vous allez recevoir, le ” Privat-Professor ” Vernier, ” Directeur des Services Sanitaires Français “… je sais moi, aucune surprise, ma femme me l’a téléphoné, que ce Vernier est un Tchèque… et qu’il a servi d’espion à l’Allemagne pendant dix-sept ans !… à Rouen d’abord… puis à Annemasse… puis au Journal Officiel… livreur… voilà le dossier !… voilà sa photo !… voilà ses empreintes !… de ce jour, il est votre chef, Docteur ! votre chef ! ordre de Berlin !… pour celui qui vous embarrasse, dans votre chambre, adressez-vous au-dessus chez vous !… voyons ! à Raumnitz ! vous le soignez, Raumnitz ! vous le connaissez !… si il veut agir ! moi vous savez la police de Siegmaringen… toutes les polices ! »

Il avait plus du tout envie de se mêler de rien, Brinon… ni pour la gale… ni pour les chancres… ni pour mes tuberculeuses… ni pour les mômes de Cissen qu’on faisait mourir à la carotte… ni contre mon dingue chirurgien… il comme jouissait de plus rien faire…

« Ah ! Docteur ! une chose ! une nouvelle ! vous êtes condamné à mort par le ” Comité de Plauen ! ” voici votre jugement !… »

De son sous-main il me sort un « faire-part » le même format, même libellé… comme j’en recevais tant à Montmartre… mêmes motifs… « traître, vendu, pornographe, youdophage… » mais au lieu de « vendu aux boches »… « vendu à l’Intelligence Service »… s’il y a quelque chose de fastidieux c’est les « terribles accusations »… rabâchis pires que les amours !… je vois encore plus tard, en prison, au Danemark… et par l’Ambassade de France… et par les journaux scandinaves… pas de mal à la tête !… simplement : « le monstre et vendu le pire de plus pire ! qui dépasse les mots !… que la plume éclate !… » sempiternels forfaits de monstre : vendeur de ceci !… de cela !… de toute la Ligne Maginot ! les caleçons des troupes et cacas ! généraux avec ! toute la flotte, la rade de Toulon ! le goulet de Brest ! les bouées et les mines !… grand bazardeur de la Patrie ! question des « collabos » féroces ou « fifis » atroces épurateurs de ci… de ça… une chose, c’est qu’à Londres, Montmartre, Vichy, Brazzaville, c’était méchants douteux partout ! flicaille Compano !… super-nazi de l’Europe nouvelle ou Comité de Londres ou de Picpus ! gafe ! en quart tous de vous foutre à la broche ! hachis ! paupiette !

Cette manie d’échapper toujours… de vous laisser en panne… où ai-je la tête ?… je vous disais que Brinon tenait pas à intervenir dans cette affaire du maboul… que j’avais qu’aller voir Raumnitz !… je tenais pas beaucoup… mais enfin !… ça devait du joli dans notre chambre, actuellement !… d’abord aller voir Mme] Mitre !… et rechercher Lili !… il faut bien que je vous décrive l’appartement de Mme Mitre… il valait la peine !… un ensemble de gros et petits meubles, consoles, guéridons, bois tournés, torsades, fignoleries, gorgones, chimères, à faire rêver la Salle des Ventes, rendre dingue toute une « rive gauche » d’antiquaires ! et pas en toc ! que du parfait « Second Empire » !… vitraux ! baldaquins ! de ces « causeuses » avec poufs !… sofas circulaires à plantes vertes ! baignoire cuivre ciselé, à ramages froufrous… poudreuse aussi à gros froufrous, à volants, de quoi dessous cacher vingt hussards… comme tables, des monuments de sculptures !… dragons en colère ! et les Muses ! toutes ! les Princes avaient ravagé là, à leur époque, toute la rue de Provence, les rues Lafayette et Saint-Honoré… vous trouverez encore peut-être ?… de pareils ensembles à Compiègne chez l’Impératrice… à Guernesey chez Victor Hugo… ou à Épinay pour La Dame aux Camélias… peut-être ?… Lili, Mme Mitre font salon… Lili se plaisait bien dans ce décor « Impératrice »… toutes les femmes !… je pouvais pas lui en vouloir… le Löwen, notre couloir, notre grabat, et en plus le fou !… c’était beaucoup pour une femme, même bien courageuse, comme Lili… des fenêtres de chez Mme Mitre vous voyiez tout Siegmaringen, tous les toits du bourg, et la forêt… on comprend la vie de Château… la vue de là-haut et de loin… le détachement des seigneurs… la grande beauté de pas être vilains… parmi ! nous on était !… et plus que pire !… je parle à Mme Mitre de l’hôtel, de nos difficultés de la chambre, et le bouquet !… du fou en train d’opérer ! certes elle comprend bien que je me plaigne… mais !… mais !… « L’Ambassadeur ne peut plus rien, Docteur !… les polices ne peuvent plus rien !… il ne vous a pas tout dit, Docteur ! vous savez comme il est discret ! vous ne savez pas tout, allez !… huit faux évêques à Fulda !… soi-disant français, et qui demandent tous à venir ici, au Château !… trois astronomes à Potsdam !… soi-disant français ! onze « sœurs des pauvres » à Munich… six faux amiraux à Kehl !… qui demandent aussi à être reçus !… hier tout un Couvent d’Hindoues qui venaient soi-disant des Comptoirs… avec cinquante petites Cashemires, violées soi-disant, bientôt mères… à recevoir ici aussi !… des petites filles !… ou au Löwen !… ou à Cissen !… plus trois Mongols persécutés ! »

Ça faisait beaucoup, évidemment… « Vous n’êtes pas persécuté, vous Docteur ?

— Oh si ! oh si ! très ! madame Mitre !

— Et l’Ambassadeur donc Docteur ! et Abetz, Docteur ! si vous saviez ! les dénonciations !… combien vous pensez ?

— Je ne sais pas… beaucoup !

— Hier, trois cents !… sur Laval ! sur nous-mêmes !…

— Je me doute !

— Trois rapports hier ! devinez sur qui ?

— Sur tout le monde !

— Pas que sur tout le monde ! sur Corpechot !… et un rapport de Berlin !… qu’ils l’avaient vu à Berlin !

— Oh ! madame, voilà du mensonge ! Corpechot ne quitte pas le Danube… il a la garde du Danube !… il est pas homme à déserter ! je me porte garant !

— Tout de même il faut que nous répondions !… la Chancellerie ! voulez-vous m’écrire un mot ?

— Oui ! oui ! madame Mitre… là ! là ! tout de suite !… que Corpechot fugue pas ! pas du tout !

— Ah ! cher Docteur !…

— Embrasse MmeMitre, Lili ! et allons-nous-en !… Bébert ! Bébert !

Bébert, le mot qu’elle se décide… qui la fait lever… « Bébert » veut dire qu’on passe d’abord chez le Landrat chercher ses rognures… le Landrat c’est l’autre bout de la grand-rue… je vous raconterai… d’abord ce que c’est qu’un Landrat ?… genre de fonctionnaire entre « maire et sous-préfet »… je soignais sa cuisinière… dyspepsie… très bonne maison, très bonne bourgeoisie de la très belle époque… chez le Landrat aussi, locataire, j’avais la mère d’un ministre, 96 ans… ma plus vieille malade… quel bel esprit ! finesse ! mémoire ! Christine de Pisan ! Louise Labé !… Marceline ! elle m’a tout dit, tout ! récité ! comme je l’aimais bien !

Seulette, je suis demeurée !

Seulette suis !

Comme elle disait bien !

 

 

Je pouvais penser, moi là, même tout à fait suant et fiévreux, que ce coup de froid du quai, cet accès, durerait pas des mois… va foutre ! je secouais, ridicule, de pire en pire… ruisselais… à tordre j’étais, plein le plumard… pourtant appliqué à écrire… tant bien que mal… je suis pas l’homme à discuter les conditions du travail… foutre !… c’est des trucs d’après 1900 les discuteries au travail… « le ferai-je maman ? »… vous étiez né fainéant maquereau… ou travailleur !… tout l’un tout l’autre !… moi là secouant le page, mettons… mettons que je me remette quand même au labeur…

« Bon Dieu pourvu que ce soit personne ! »

Des bruits à côté !… les chiens aussi !… wouaf !… c’est la hantise en vieillissant, qu’on vous laisse tranquille, absolu !… mais zut !… Lili parle à quelqu’un… une femme… la porte est fermée mais j’entends… j’écoute… il s’agit de Mme Niçois… une voisine… Mme Niçois a froid chez elle… il paraît… elle se plaint… « qu’est-ce que je peux faire ?… » question de la voisine… j’hurle…

« L’ambulance ! Versailles ! l’hôpital !… téléphone Lili ! téléphone !… »

Du coup la porte ouvre !… Lili, la voisine, entrent me voir… ce que je voulais pas !… précisément pas !… je me renfonce sous les couvertures… sous le monticule des pardessus… je sais plus combien de pardessus ! je suis pauvre en tout mais foutre ! punaise ! pas en pardessus ! ce que les gens qui vous voient misère vous envient d’abord et tant qu’ils peuvent… des pardessus ! ils ont toujours trop de pardessus !… oh ! « des plus à mettre », à la trame ! vous pouvez plus sortir avec, mais sur votre lit, et dans la fièvre, vous les trouvez joliment bien ! pas exagérés du tout !… chauffage central qui coûte pas cher… le nôtre, au gaz, me donne tant de mal !… la ruine !…

Lili et la voisine sortent… j’ai pas rien dit !… pas un mot… qu’elles téléphonent !… Versailles ! l’ambulance !… non ! je dérangerai pas Tailhefer !… elle sera pas mal à Versailles, l’hôpital est très bien chauffé… elle sera mieux que chez elle… peut-être aussi ?… je réfléchis… que lui ayant parlé de revenants, des olibris de La Publique elle veut plus rester chez elle ?… vous êtes toujours à vous tâter avec les malades… vous avez trop dit ? pas assez ?…

Moi toujours pour les boniments, les efforceries de nénette, en plus de ceux pour les malades, j’ai ceux pour Achille… 9oo… 1’ooo pages !… ou pour Gertrut ! tout aussi escroqueurs l’un que l’autre !… que je voudrais les voir là devant moi se dépecer à vif ! se passer des dagues tort et travers ! se tourner gibelottes !… mais ouiche ! beau foutre !… trouilleux escarpes s’éventrent pas !… Loukoum moins que tous ! vagineux vide !… à travers tout ce monde et l’autre, vous trouverez pas plus exigeant banc de squales !… à râteliers… nageoires nylon !… et de ces limousines, comme ça !… tout gorgés sang des scribouilleurs ! ce qu’ils m’ont pompé moi comme litres ! je le dis !… je le sais !

Je sais plus !… zut !…

Ce coup de la voisine m’a choqué !… pire que La Publique !… l’ambulance !… je vous ai perdus… vous et le fil !… voyons ! voyons !… nous étions à Siegmaringen… tout à travers un autre souvenir… voilà !… il m’en surgit encore un autre !… un autre souvenir !… du Havre, celui-là !… du Havre !… oui, j’y suis !… je remplaçais un confrère, Malouvier, route Nationale… oh ! mais, ça y est !… oh ! mais, j’y suis !… un malade à Montivilliers… je le vois encore ce malade… et son cancer du rectum… j’étais encore drôlement actif, ardent, dévoué à l’époque !… si je cavalais !… tous les appels !… lui ce cancéreux, deux, trois fois par jour !… morphine et pansement… je faisais aussi bien, moi tout seul, que tout un service d’hôpital… pourtant on me l’a emmené ailleurs… pas parce que je le soignais pas bien !… non !… parce qu’il devenait fou !… que la famille pouvait plus le tenir, il se jetait contre tout !… l’armoire… contre la fenêtre ! cassait tout !… que je l’empêchais de se rendre au travail !… il m’accusait ! sa conscience qui le torturait !… sa conscience que c’était fini ! qu’il irait plus à l’usine ! que les gendarmes viendraient le chercher, qu’ils étaient là ! qu’il les voyait venir par la fenêtre ! qu’ils venaient l’emmener en prison ! fainéant ! fainéant ! que depuis soixante ans il s’était jamais arrêté ! jamais ! jamais il avait manqué aux « docks à flottaison » d’Honfleur ! jamais ! « au secours ! au secours ! » j’avais beau faire, moi, mes paroles, et mes « 10 centi » de morphine… jamais il avait manqué !… il a fallu qu’on l’emmène… le cancer est pas tout ! la conscience au travail qu’est tout ! enfin je veux dire pas pour ceux comme Brottin… Gertrut… qu’attendent !… qu’attendent… et que ça vienne !… la preuve… que je suis là aussi… comme Paraz… malade travailleur !… et qu’ils attendent que ça vienne !… fièvre pas la fièvre !… « Où t’en es clown ?…, combien de pages ? »

 

 

Il était toujours là vers cinq heures, von Raumnitz… à peu près sûr… cinq à sept… après il partait au Château… ou ailleurs… il avait pas qu’un domicile… il recevait partout… toutes les heures de jour et de nuit… une dizaine de domiciles… au Löwen c’était de 5 à 7… chambre 26, juste au-dessus de la nôtre… le truc de tous les policiers, avoir des bureaux partout, des endroits à recevoir partout… les hommes politiques aussi ! et les Ambassades !… d’où que vous vous sentez toujours drôle dans n’importe quelle capitale, certaines rues… Mayfair, Monceau, Riverside… domiciles et gens louches partout… et pas des petits garnos purée… des logis de bohème… non !… de ces appartements somptueux, ultra-luxueux… même là à Siegmaringen les locaux secrets du Raumnitz, pardon ! autre chose que notre piaule ! je connaissais son « aile » au Château, deux étages ! entièrement fleuris !… azalées, hortensias, narcisses !… et de ces roses !… je suis sûr au Kremlin, ils sont pleins de roses au mois de janvier… là au Château, toute une aile à lui, deux étages, Raumnitz avec ses escouades de larbins, femmes de chambre, cuisinières et blanchisseuses, était peut-être mieux loti que Pétain !… plus luxueux que lui !… il avait d’autres locaux en ville… pas que pour lui… pour sa femme, sa fille et ses dogues… vous pourriez pas trouver mieux East-End ou Long-Beach… vous qui demandez des trucs magiques, demandez voir à la police… si elle vous répond : non !… elle ment, elle a !… que demain Paris soit réduit poudre par la bombe Gigi… Z… Y… y aura encore de ces bonbonnières, de ces petits boudoirs cent mètres sous terre, tout le confort, bidet, azalées, caves à liqueurs, cigares comme ça, sofa « tout mousse », qu’appartiendront à la police !… aux polices !… les celles qui seront là !… pour la question ravitaillement, Raumnitz, vous auriez vu ces piles de « cartes » entre les pots de fleurs !… de quoi nourrir tout Siegmaringen !… donc vous voyez, Raumnitz, Madame, et la fille, avaient trop de tout… et pourtant jamais ils nous ont offert la moindre tartine ! biscotte ! ticket !… c’était comme leur point d’honneur… à nous, rien !

Il méprisait pas ma médecine, je le soignais, une aortite grave… mais honoraires ? balpeau !… son point d’honneur ! là au moment, revenant de chez Brinon, c’était question qu’il me fasse monter quelques-uns de ses flics, sortir le dingue et l’infirmière… pour commencer !

Je dis à Lili : viens !… traverser d’abord le palier !… encore plus de monde que tout à l’heure !… des gens du Bären, plus chahuteurs… l’épouvante de Frucht, les jeunes ! qui les voyait finir son hôtel, tout démolir sa brasserie, ses chiottes… bien plus déchaînés que nous du Löwen… d’abord le Stam en bas, la bière… et hop on monte pisser, et la colique ! casser la porte et les verrous, s’enfourner aux gogs !… à six… dix… casser la lunette !… la sonnette !… emporter la couronne, le siège !… victoire ! victoire ! de vive force !… repisser compisser encore plein le vestibule, l’escalier !… que tout déborde ! mais… ah ! tenez-vous ! à l’instant même en position ! en plein la pisse ! deux Allemandes s’épeluchent !… en position !… acharnées !… reniflantes ! retroussées comme ça ! là… et hop ! et toute la jeunesse autour ! trépignante, folle de rigolade ! ça bat plein des mains !… stimule !… et pisse avec ! en peut plus !… deux très belles filles qui sont aux prises… des réfugiées de Dresde… la « ville des artistes »… de Dresde qu’elles venaient toutes les artistes… la ville-abri !… refuge des arts !… les deux là, embrasseuses terribles, chanteuses d’Opéra, il paraît !… et devant les gogs et devant Frucht, et devant tout le monde !… toute la cohue du palier… hurrah ! ils hurlaient !… « hurrah Fraulein ! » une brune et une rousse… l’orgie, c’était pas choisi comme endroit… je peux pas vous dire plus… aux prises, en plein étang de tout !… moi je voyais, c’était impossible que même je pousse la porte… la nôtre, le 11… ils sont je ne sais combien maintenant là-dedans autour de mon lit… autour du maboul et l’opéré dessous… dingues aussi, autour… qui stimulent !… « vas-y ! vas-y ! coupe-z-y l’oreille ! »… ceux-là c’est du sang qu’ils veulent ! « vas-y ! vas-y ! »…

Moi, ma présence d’esprit, toujours ! ni une, ni deux !… « viens Lili !… viens ! »

Surtout vous oubliez pas qu’au Ciel, très haut aux nuages, et plus bas au ras des toits, c’est la ronde !… c’est le tonnerre de Dieu perpétuel, de ces passages de forteresses !… Londres… Augsbourg…

Munich… leurs bouts d’ailes à frôler nos fenêtres… de ces ouragans de moteurs !… vous étiez sourd !… à rien entendre !… même les hurlements du palier !…

Oui… ils étaient massés, tout le Bären à hurler que les filles s’arrachent… et dans notre piaule, les gueulements que l’autre lui coupe l’oreille !…

Vous pensez qu’avec Lili on parvienne l’étage au-dessus ! à travers cette cohue de furieux ! le mal ! enfin on pousse ! les repousse ! on y est !… ça y est !… l’escalier !… le 28 ! je cogne ! ah ! c’est Aïcha ! Frau Aïcha von Raumnitz… elle nous ouvre… ils sont mariés, vraiment mariés… je vous expliquerai… elle nous ouvre… Aïcha Raumnitz parle pas plus allemand que Lili… trois mots !… elle a été élevée à Beyrouth… elle est de par là, je vous expliquerai… au moment je veux voir son mari… une chance que je le trouve !… il est allongé, en robe de chambre…

« Alors, Docteur ? alors ?

— Je viens de la part de Brinon vous demander…

— Je sais… je sais… il me coupe la parole… vous avez un fou chez vous… et plein de fous encore plein le couloir… je sais !… Aïcha !… Aïcha !… veux-tu ! »

Pas beaucoup le temps de réflexion…

Il lui passe un trousseau de clefs…

« Prends les chiens !… »

Les deux dogues… il fait signe aux dogues… un bond, ils sont aux pieds de sa femme… enfin, à sa botte !… elle porte bottes… bottes cuir rouge… elle fait cavalière orientale, toujours à tapoter ses bottes… et une très grosse cravache jaune…

« Allons, Docteur !… »

J’ai plus qu’à la suivre… avec elle je sais que tout s’arrange… les dogues savent aussi… ils se mettent à grogner et ils montrent les crocs… crocs comme ça !… ils cessent pas de grogner… ils mordent pas !… ils suivent Madame dans les talons !… ils sont prêts à déchirer celui qu’elle fera signe… c’est tout !… oh ! des bêtes dressées admirable !… et costauds ! des buffles !… mufles, poitrails, jarrets ! que rien que l’élan qu’elles vous arrivent vous êtes étendu !… pas ouf !… je vous parle pas des crocs… une bouchée, vous, vos carotides !… y a du respect !… Aïcha, ses dogues, on s’écarte !… personne demande ceci… cela… Aïcha parle pas non plus… elle va assez langoureusement… ondulante des hanches… pas vite… tous les dégoûtants se reculottent… les braillards pisseurs… tout refoule vers la rue… la brune et la rousse aussi, elles se rafistolent… et hop !… sautent !… stupre pas stupre !… les pires faunesses se touchent plus !… hurlent plus !… personne rugit plus de rien… même du supplice d’envie de caca !… chez moi… chez moi, ma porte, le 11, sitôt entrevue Aïcha, panique, affolerie ! ils nous renversent calter plus vite ! ils se montent dessus, qui qui passera !… ah ! le chirurgien et l’infirmière et le garagiste et son oreille !… comment tout ça jaillit de mon lit ! requinque, court ! sauve qui peut !… c’est le chirurgien maintenant qui hurle ! Ça le prend !… celui qu’était sous lui crie plus, le réfugié de Strasbourg… l’infirmière emporte les boîtes d’ouate… ils veulent tous passer à la fois… en même temps ! oh ! mais pardon ça va plus !.. Aïcha a l’œil !… elle est langoureuse mais précise !… « stop ! stop ! » qu’elle fait… aux trois !… qu’ils bougent plus ! qu’ils restent là !… pile ! le dingue, l’infirmière, et l’hagard ! tous là ! sur place !… et le nez contre le mur !… elle leur montre !… bien debout ! bien contre !… les dogues leur grognent fort aux fesses… les crocs, je vous ai dit !… il s’agit plus de remuer du tout !… ils remuent plus… tout le palier est dégagé et le grand couloir, ma chambre, plus personne !… le vide !… ah ! les pisseurs qui se tenaient plus ! et les deux artistes !… tous ces effrénés ! clic et clac ! un charme !… mais c’est pas tout !… Aïcha avait son idée… Komm ! un coup, elle leur parle en allemand… aux trois, nez au mur… qu’ils viennent qu’ils la suivent !… je la suis aussi moi ! je veux voir aussi… tout à l’autre bout du vestibule, un petit passage et puis deux marches… le 36 !… la porte du 36… cracc ! cracc !… elle ouvre !… elle fait signe au fou qu’il passe le premier, puis son infirmière, puis l’homme de Strasbourg… ils hésitent… ah ! elle aime pas l’hésitation, Aïcha… « allons… allons !… » ils roulent tous les trois de ces calots !… surtout le garagiste !… ils se tâtent s’ils entrent… ils regardent les dogues… ils montent les deux marches… Chambre 36… je la connais cette chambre… enfin, un peu… deux fois j’y avais déjà été, pour Raumnitz, pour deux fugitifs qu’on avait ramenés de je ne sais où… deux vieillards… c’était la seule chambre solide de tout le Löwen… comme fortifiée vous auriez dit, les murs béton, porte de fer, fenêtres à barreaux… pas petits barreaux ! des « super-prisons », je connais… toutes les autres piaules du Löwen étaient comme flottantes, ondulantes, jeux de briques et de fissures… tout débinait ! les plâtras, le plafond, les lits, tout ! pas un lit qu’avait ses quatre pieds !… trois, au plus ! beaucoup, qu’un ! vous pensez le branlement des avions ! c’était plus à rien recoller ! Herr Frucht entretenait plus rien ! et les locataires y en mettaient un coup, en plus, de descellement, décollage… ils se vengeaient comme ils pouvaient, des boches, du Frucht, des avions dans l’air, et d’être là, eux !… de tout ! ils s’assoyaient à deux, trois, quatre, sur chaque chaise !… qu’elle craque bien !… dix, quinze sur le page !… bordel !… eh ! merde !… surtout les soldats de passage, les renforts pour la ligne du Rhin… ceux-là alors Landsturm pardon !… pillards finis ! mais y avait plus rien à piller !… tout était broyé ! envolé ! comme mon local rue Girardon ! ce qu’est excitant dans les visites c’est qu’on peut voler !… et y avait plus rien d’emportable… tout le Löwen tanguait vacillait sous les « Armadas » Londres, Munich… de ces vrombissements, mille moteurs, que les tuiles voltigeaient plein l’air !… miettes à la chaussée, au trottoir !… les plafonds, pensez !… oh ! mais pas ceux de la Chambre 36 ! la seule du Löwen à l’épreuve !… j’avais remarqué, je vous ai dit… la cellule absolument nette !… j’allais pas poser de questions, ce qu’étaient devenus les deux vieillards… ni ce qu’on allait faire des autres… le fou l’infirmière et le garagiste… c’était aussi des « fugitifs »… nous aussi, si on voulait… toujours est-il la chambre 36 c’est Aïcha qu’était chargée d’accueillir, ouvrir, boucler… ce qui se passait ?… je pouvais pas demander à Raumnitz… il paraît que la nuit, des ragots, y avait des départs… il paraît… qu’un camion passait certaines nuits… moi, je l’ai jamais vu ce camion !… et je sortais cependant pas mal à toute heure de nuit… une seule chose sûre : des semaines entières le 36 était vide… et puis tout à coup rempli de gens !… la légende, le ragot, c’était que ce camion devait jamais être vu par personne… qu’on les embarquait enchaînés, tous les soi-disant fugitifs, qu’on les emmenait très loin à l’Est… soi-disant plus loin que Posen… soi-disant un camp ?… j’allais pas demander à Raumnitz ce qu’il leur faisait faire à Posen !… ni à Aïcha !… en tout cas, une chose, elle m’avait, cinq sec, drôlement liquidé notre piaule !… la panique !… une autorité, Aïcha ! aussi, je veux, ses dogues !… sa cravache !…

Toujours maintenant j’avais plus de fous sur mon page ! oh ! les malades reviendraient !… foutu le camp, mais ils reviendraient !… je devrais, bien sûr, nettoyer !… si y avait moyen !…

Je veux que Mme Raumnitz regarde !… se rende compte !…

« Regardez, madame Raumnitz !

— C’est la guerre, Docteur ! c’est la guerre ! »

Nous faisons un peu de conversation… elle aime à parler avec nous… ils demeuraient en France, à Vincennes… nous parlons de Vincennes… du Lac Daumesnil… Saint-Fargeau… du métro…

 

 

Moi qui croyais !… en fait les malades reviennent pas !… ni les impatients des W.C… tout ça doit être filé aux caves, aux grottes… leurs caves préférées… ou sous le Château ?… la frousse les tient… pire que les passages d’R.A.F., Aïcha et la chambre 36 ! je suis sûr… Lili et Aïcha sont là, sur le palier… elles parlent de ci, de ça, de tout… bon !… moi, je dois aller chez Luther… la consultation de Kurt Luther, médecin mobilisé fritz… c’est l’heure !… et après Luther, la Milice… j’ai trois quatre alités aussi, là… des grippes… Darnand est à Ulm, je le verrai pas… je verrai son fils et Bout de l’An… tout ça est pas loin, tout de même une bonne demi-heure, de porte cochère en porte cochère… par bonds !… je vous ai dit… y a pas que l’Armada !… elle est haute !… y a les marauders, rase-motte !… vous avez vu, je vous ai raconté la promenade, la façon qu’ils nous avaient comme sertis de balles pendant tout le long du Danube… de chez Luther à la Milice c’était aussi le long du Danube… la Milice tout des baraques, grandes Adrian à Paillasses les unes sur les autres… le style militaire depuis 18… mais où j’allais consulter, la villa Luther, très coquette, baroque Guillaume II…

Puisque je vous reparle de la promenade, à y repenser, c’est évident, s’ils avaient pas touché Pétain, ni sa queue leu leu des ministres, c’est qu’ils voulaient pas ! un jeu !… et pas un avion fritz en l’air !… jamais !… et pas une mitrailleuse au sol ! en somme, pas de « passive » ! vous pensez la facilité des Corsaires de l’air ! n’importe quel bonhomme, vache, chien, chat, à 4oo à l’heure ! vu ! visé ! feu ! salut !… automatique !… un mosquito ! un marauder ! ils arrêtaient pas, absolument permanents, au-dessus de nous… looping !… looping !… ils arrêtaient pas… ils se relayaient… rafales !… rafales… ricochets !… ptaf !… personne devait circuler !… la preuve Doriot, vous aviez qu’à voir sa voiture, elle est restée exposée plus de huit jours devant le Prinzenbau (notre mairie) le temps de l’enquête… comme cisaillée de bout en bout, criblée menu, une dentelle !… ils l’avaient piquée sur la route, cueilli, lui, ses gardes du corps, et dactylos et photographes… rrrrac ! qu’ils se rendaient de Constance à une réunion des « Partis » au-delà du Pzimpflingen… oh ! la très secrète réunion !… pas secrète qu’ils l’avaient cueilli !… déchiqueté !… s’ils abattaient pas la promenade, le Pétain et sa clique, c’est que les « ordres » étaient autrement ! Doriot était de l’« ordre » : à moucher !… pas un pli !… pour moi, ils devaient pas avoir d’ordres, rien de spécial… j’étais dans la « Consigne Routine »… Rien sur les routes !… la même des boches ou des Anglais ! « Rien sur les routes ! » ni chats, ni chiens, ni bonhommes ! ni brouettes !… tout ce qui bouge : rigodon ! ptof !… en somme on devait pas réchapper ! que ce soit les schuppos d’en bas ou les marauders R.A.F… feu ! nos pipe » ! n’empêche que Lili, malgré les schuppos qui lui sifflaient hurlaient après : Kormn ! Komm ! et les ricochets du ciel est toujours venue me retrouver… mais elle, j’admets, c’était assez le goût du risque… oh, que j’appréciais pas du tout !… le moment où je quittais le Löwen je lui disais bien « reste là Lili ! bouge pas ! dis aux malades je reviens tout de suite !… reste avec Mme Raumnitz !… reste pas seule ! »

Moi si peu galant, je me mettais en frais…

« Madame Raumnitz, vous voulez bien vous asseoir ?… un moment avec Lili ? je vais à la Milice ! »

Elle avait ses soucis aussi, Mme Raumnitz…

« Oui Docteur ! oui je reste ! mais si vous voyez Hilda, vous voulez lui dire de revenir !… et revenir vite !… que je l’attends depuis hier soir !…

— Oui, madame Raumnitz ! certainement ! comptez sur moi ! »

Je me doutais où elle devait se trouver Hilda von Raumnitz, et deux… trois copines… les jeunes filles en fleurs de Siegmaringen… enfin celles très bien soignées, très bien nourries, des très bonnes familles militaires et diplomatiques… qui n’ont jamais manqué de rien !… forcément l’âge, l’air très salubre, et ce froid si vif, le bouton les turlupinait !… l’âge enragé, 14… 17… et pas que ces petites filles de luxe, épargnées, soignées… les miteuses aussi !… d’autres prétextes, l’éloignement, le danger permanent, les insomnies, les hommes en chasse !… miteux aussi ! en loques aussi ! et convoleurs ! et si ardents ! tous les bosquets ! tous les carrefours ! l’âge enragé 14… 17… surtout les filles !… pas seulement celles-là, d’un lieu bien spécial… l’éloignement, le danger permanent, les hommes en chasse tous les trottoirs… même chose rue Bergère ou Place Blanche !… pour une cigarette… pour un blabla… le chagrin, l’oisiveté, le rut font qu’un !… pas que les gamines !… femmes faites, et grand-mères ! évidemment plus pires ardentes, feu au machin, dans les moments où la page tourne, où l’Histoire rassemble tous les dingues, ouvre ses Dancings d’Épopée ! bonnets et têtes à l’ouragan ! slips par-dessus les moulins ! que les fifis mènent l’Abattoir ! et Corpechot, Maître du Danube ! moi là, question Hilda, et sa bande, sûr, je les retrouvais à la gare !… fatal ! espionnes, troubades, ministresses, gardes-barrière, méli-mélo !… aux salles d’attente ! l’attirance viande fraîche et trains de troupes, plus le piano et les « roulantes », vous représentez ces scènes d’orgies ! un petit peu autre chose de bandant que les pauvres petites branlettes verbeuses des Dix-sept Magots et Neuilly !… il faut la faim et les phosphores pour que ça se donne et rute et sperme sans regarder ! total aux anges ! famine, cancers, blennorragies existent plus !… l’éternité plein la gare !… les avions croisant bien au-dessus !… tout bourrés de foudres ! et que toute la salle et la buvette se passent entre-passent poux, gale, vérole et les amours ! fillettes, sucettes, femmes enceintes, filles-mères, grand-mères, tourlourous ! toutes les armes, toutes les armées, des cinquante trains en attente… toute la buvette entonne en chœur ! Marlène ! la ! la ! sol dièse ! à trois… quatre voix ! passionnément ! et enlacés !… à la renverse plein les fauteuils !… à trois sur les genoux du pianiste ! trois de mes femmes enceintes !… et bien sûr, en plus, entendu, pain à gogo ! boules ! et gamelles !… et sans tickets ! vous pensez bien qu’on regarde pas !… quatre roulantes pleines de marmites d’un train à l’autre… de la buvette aux plates-formes ! le « bifur » Siegmar, je parle de trains de munitions, l’endroit vraiment le plus explosif de tout le Sud-Würtemberg… Fri-bourg-l’Italie… trois aiguillages et tous les trains, essence, cartouches, bombes… de quoi tout faire sauter jusqu’à Ulm !… aux nuages ! bigorner les avions d’en l’air !… salut !… vous imaginez que j’avais un petit peu de travail lutter pour la vertu d’Hilda, qu’elle se fasse pas cloquer sous un train !… « l’amour est enfant de bohème !… » Salut ! là bon !… vous me plaignez !… toujours est-il le devoir d’abord !… que je passe chez Luther !… trois… quatre consultants… boches et français !… et puis tout de suite à la Milice !… à côté… là je vois encore deux, trois malades… des alités, deux « ordonnances » et les urines… analyses… le pharmacien Hofapotek Hans Richter, si je le connais !… si je vais pas moi-même chercher les potions et les résultats des urines je peux attendre !… il me sabote !… peut-être il est anti-Hitler ?… sûrement il est anti-français !… et je suis « régulier »… comme toujours !… je prescris jamais que des remèdes absolument impeccables, qu’ont au moins cinquante ans de Codex… ici, c’est selon le formulaire du Reichsgesundheitsamt… 32 ordonnances… oh, très bon choix, très suffisant ! Reichsprecept !… je le dis, je crains pas, qu’on devrait bien s’en inspirer, nous, en notre France gaspillonne ! prétentiarde conne !… ce ministre de la Santé auteur de ce Reichsprecept, Conti, fut reconnu à Nuremberg, foutu avéré génocide… un genre de Truman… et lors, pendu !… (pas Trumann)… mais son Reichsprecept n’empêche, mérite parfaitement de lui survivre… je nous vois faire avec (France éternelle) au bas mot, au plus juste, trois cents milliards d’économies par an… et les malades joliment mieux ! moins tout ahuris, vaniteux, empoisonnés !… je sais ce que j’affirme… cause…

Tout ça c’est beau !… mais la Milice ?… ses cantonnements sont après la « levée » du Danube… le remblai énorme de cailloux, briques, arbres qui défend la route… je vous montre la Milice, trois grosses baraques Adrian… une autre bicoque, le corps de garde !… le plus imposant de tout, l’énorme drapeau tricolore au haut du mât !… la Milice s’est couverte de gloire, en retraite vers Sieg-maringen, à travers cinq ou six maquis… y a pas eu que la retraite Berg-op-Zoom-Biarritz !… très surfaite ! la France a connu toutes les retraites ! et dans tous les genres !… et en pas vingt ans !

Bon !… j’avoue !… mes ordonnances peut-être en vain ?… même les drogues du Reichsprecept ? sans doute ! l’Apotek Richter manquait de tout ! en plus de sa malveillance… sûr il nous considérait tous, miliciens, les huiles du Château, généraux brodés, collabos en loques, souillons espionnes, hautaines ministresses, crevards aux grabats « Fidelis », tous à foutre à la poubelle !… abjecte engeance ! et les femmes enceintes et Pétain ! à brûler ! noyer ! sûrement l’opinion d’Hans Richter !… la même opinion que les preux de Londres, de Brazzaville, ou de Montmartre ! « tous les pendre » !… quand je tenais fort absolument qu’il m’exécute une ordonnance, j’allais moi-même en personne lui faire dénicher le produit… et j’annonçais, je me grattais pas !… « für den Sturmführer von Raumnitz » !… pas de chichis ! il trouvait !… j’emportais… il me croyait… il me croyait pas… mais il voulait pas risquer !… chaque coup le même truc ! für den Sturmführer ! à l’estome !… malheureusement, estomac ou pas, zébi morphine ! et huile camphrée ! mes principales armes, pourtant !… il avait vraiment plus de rien !… il mentait pas, je le savais par ses demoiselles labo-rantines… les demoiselles ne demandent qu’à trahir… toutes les demoiselles… pour un peu d’amabilité… le marivaudage, croyez-moi, est notre bien ultime aimable clef !… Amérique, Asie, Centre-Europe ont jamais eu leurs Marivaux… regardez ce qu’ils pèsent, éléphantins ! balourds maniéreux !… donc, je savais par les demoiselles et Marivaux que Richter manquait réellement de morphine… il s’agissait que j’en aie quand même ! dévoué responsable que je suis ! cœur d’or ! le monde m’en a bien remercié ! morphine !… morphine !… ma tête sur le billot ! les pires stratagèmes ! pour l’exercice de mon art et le grand recours des agoniques ! morphine !… morphine ! oh ! pas aisément je vous assure !… par « passeurs » !… passeurs c’est dire voyous, pire flibuste !… entre police fritz et Helvètes ! je vous raconterai… et à mes frais… bien simple, je me suis ruiné en Allemagne, rien que par mes médicaments de Suisse… il va sans dire je peux rien attendre de de Gaulle, quelque indemnité ou diplôme, ou de Monsieur Mollet… ils pensent aussi comme Herr Richter que c’aurait été béni que les boches me pendent… Achille pense pareil !… Achille lui c’est pour mes belles œuvres… le boom qu’elles feront ! les autres éditeurs aussi ! que j’aurais dû au moins !… au moins !… finir au bagne ! encore maintenant ils font ce qu’ils peuvent que je me file au gaz… ils me voient dépérir… « combien vous croyez qu’il en a ?… six mois ?… deux ans ? »… ils s’inquiètent… « ah ! il se veut de la publicité… qu’il se la fasse, foutre ! lâche ! salaud ! » ils voient moi mort tous mes livres leur jaillir des caves !… cette nouba d’Hachette !

Hé ! là ! cocotte ! ma cavale échappe !… où je vous fais encore galoper ? je vous distrais… je sortais de chez Luther, puis des baraquements de la Milice… exactement !… maintenant c’est plus de frivoler, c’est de ramener Hilda à sa mère ! elle est sûrement aux « salles d’attente » avec les copines… combien de fois je les avais virées ! et de la buvette !… damnées garces !… je les ai assez sermonnées que c’était pas leur place ! ni aux roulantes ! la place des femmes enceintes non plus !… plus enragées que toutes les autres !… la briffe, gamelles, boules ! « Faites-la revenir !… fessez-la ! faites n’importe quoi qu’elle revienne !… » vous dire si j’avais l’habitude ! « Foutez le camp ! » elles s’amusaient que je sacre et jure, le temps qu’elles se sauvent, pirouettent, galopent !… et je les retrouvais pleine rigolade, « Lili Marlène » plein d’hommes autour, à la buvette ou aux portes des trains d’artillerie… elles se sauvaient encore !… j’étais le Croquemitaine !… ça m’était bien égal, pardi !… mais le père ? il aurait peut-être voulu que je me trouve complice… là c’aurait fini d’être aimable… enfin, presque aimable… oh ! j’ai la très grande habitude de ces situations pires louches… de ces icebergs bien imminents près la bascule !… Dieu sait si les Allemands sont louches, surtout les von !… onctueux, aimables et atroces !… la gare était dans mes fonctions, côté sanitaire, poste de secours, réfugiés… alors forcément, salles d’attente et prostitution ! je devais y voir !… tout voir !… avec quels moyens ?… aucun !… tout manquait !… le soufre pour la gale… le novar pour la vérole… rien !… les capotes ?… nib !… moi aussi je pouvais cavaler !… en plus de l’Hilda !… j’avais bonne mine !… je vous parle des troupes de passage, de tous ces trains qui vont viennent pour des soi-disant raisons… y a pas de raisons !… la tradition !… tous les pays en guerre pareil, trains de troupes de passage qui vont quelque part… et reviennent de quelque part pour ailleurs… farandole des aiguillages ! poésie !… que les viandes bougent ! c’est pas qu’au ciel que ça cesse pas d’aller revenir… sur les rails pareil, trains sur trains… convois infinis… troubades et troubades, toutes les armes et tous les peuples… et les prisonniers avec !… déchaussés aussi, pieds pendant hors… assis aux portières… faim aussi ! toujours faim !… bandant aussi !… chantant aussi « Lili Marlène » !… Monténégrins, Tchécoslovènes, Armée Vlasoff, Balto-Finnois, troubades des macédoines d’Europe !… des vingt-sept armées !… que ça se fige pas ! que ça chante ! branle ! roule ! et trains blindés, canons comme ça ! dardés géants !… de ces dinosaures de canons, à deux et trois locos chacun !… et toujours plus de trains queue leu leu !… génie, artillerie… et encore d’autres convois sur convois… grives ! flopées ! pinglots hors nu-pieds et poilus… gueulant qu’on leur envoie des filles !… chantant qu’ils tiennent plus, qu’ils bandent trop !… vous dire, un sacré point de trafic, aussi bien pour les Armadas : London Munich Vienne… que pour les trains de troupes et fourgons, toute la camelote, bidoche armée, Frankfort, la Saxe, et l’Italie par le Brenner… que c’eût été pour eux qu’un jeu, une bombe qu’ils fassent éclater la gare !… marmelade !… écrabouillent tout !… non !… il fallait que ça continue ! le pire c’est que tous ces trains dont je vous parle restaient manœuvrer dans la gare… dans la gare même ! et des heures !… et des nuits entières !… et sous les hangars… s’en allaient… rappliquaient ! la voie coupée !… l’aiguillage en miettes !… tout à recommencer ! troubades au piano !… mes filles mères sur d’autres genoux !… la fête continuait ! le même tohu-bohu qu’au Löwen, sur notre palier, pour les chiottes, mais là tout en uniformes et nu-pieds… pas le temps de se rechausser, la hâte débouler des wagons, embrasser mes bavelles « gros-bides » et chanter en chœur ! et pour la fringale autre chose que nos raves !… mes poupées, la joie ! fortes gamelles saucisses patates !… vraie graisse, vrai beurre, vrai plein la lampe !… de ces roulantes vraiment tonnerre !

Comme ça toutes les gares du monde du moment que les trains de troupes stagnent… la vie sur la terre a dû commencer dans une gare, une stagnation… vous voyez les filles raffluer… bien sûr… elle ma foutue Hilda la garce, c’était que de fiévreuse puberté, pas besoin de gamelle !… costaudes fillettes !… sex-appeal des salles d’attente ! la perversité de voir tant de mâles arrivant d’un coup, tout suants, poilus, puants… plein les wagons !… et tout bandant leur crier lieb ! lieb !… miracle que c’était, il faut dire les choses, que par les gardes S.A. elles se soient pas trouvées happées, déshabillées, et pire !… l’Hilda et sa bande, servies illico ! friponnes allumeuses !… la Prévôté à la gare, chargée des plates-formes, pensait qu’à coups de crosses et matraques ! de ces gorilles ! ils assommaient deux fois par jour tout ce qu’ils trouvaient déambulant… c’était eux quand on tournait mal, désordre aux roulantes, au piano, trop de gens à travers les rails que les trains pouvaient plus partir, qui ramenaient le calme ! à la matraque !… et si ça rebiffait ? ptaf ! au Mauser !… de ces sortes de revolvers-canons, pas à réfléchir ! réglé ! quand la Hilda et les copines voyaient les S. A… cavalcade !… envolée de biches !… mais qu’elles rebondissaient de l’autre tunnel !… une chose à dire pour Hilda, ç’aurait été en d’autres temps elle aurait été mariée… elle avait que seize ans, entendu… mais pardon ! on pouvait ! je parle en médecin… je pose des notes de « réussite », je cote d’1 à 20… vous trouvez pas une fille bien faite, même cherchant bien, sur mille ! je dis !… vitalité, muscles, poumons, nerfs, charme… genoux, chevilles, cuisses, grâce !… je suis le raffiné, hélas ! j’admets… des goûts de Grand-Duc, d’Émir, d’éleveur de pur sang !… bon !… chacun ses petits faibles !… j’ai pas toujours été ce que je suis, pauvre pourchassé loquedu tordu ruine… mais un fait !… un fait !… le genre de débilités monstres, tout rachitiques cellulosiques, sans âges, sans âmes, que les hommes s’envoient ! ma Doué !… et de quels sexes en feu, ma chère !… je dis ces objets de leurs amours seraient à se faire couper les burnes, tout écœurés neurasthéniques, les plus pires priapiques gibbons !… je dis !… ah ! mais au fait l’Hilda Raumnitz que je vous la cote !… elle faisait, jugé sec, « 16 sur 20 », au « Concours Animal des filles »… je suis très de l’avis de Poincaré : « tout phénomène de la nature que vous pouvez pas mesurer existe pas », ainsi pour les dames et les charmes, le diable qu’elles approchent 4 sur 20 !… au plus !… « Concours des Beautés » compris !… la moyenne esthétique est rare !… 10 sur 20 ! quels genoux, chevilles, nichons !… tout bourrelets de panne et bidoche flasque, rapportés la dernière minute, sur quels osselets !… guingois !… Hilda petite garce, surprise de Nature, était pas elle tarée du tout !… réussite coquine, diable au corps !… réussie ?… enfin, 16 sur 20 !… je parle de tout en vétérinaire, en sorte de raciste… la terminologie du monde, peu ou prou, salonnière, proustière, me rendrait facilement assassin… la note !… que la note !… cotez !… pas autre chose !… « retroussez-vous ! voyons ! combien ? »… horticulteurs, si vous voulez !… je veux vous froisser en rien : la fleur !… apprécions la fleur !… pétale ! tige ! donnons-lui une note ! déméritons pas de Poincaré !… Hilda pour la garcerie (caractère féminin secondaire) était aussi joliment douée !… cheveux blond cendré… pas cendrés « au pour », véritables !… et jusqu’aux talons !… vraiment la belle animale boche… et genoux fins, chevilles fines… très rare, fortes cuisses, fesses serrées musclées… le visage pas tellement aimable, ni câlin… de l’esprit Dürer nous dirons, comme son papa… enfin toujours pas « la survoltée bonniche », « beurre et œufs aux anges »… si débandoires bâtardes tristesses !… le père, Commandant, avait dû être joliment bien !… la mère, replète et odalisque !… mais le certain charme Aïcha !… moi qui suis extrêmement raciste, je me méfie, et l’avenir me donnera raison, des extravagances des croisements… mais là l’Hilda, je dois admettre, c’était réussi !… ce qu’était pas réussi du tout, c’est moi le mal que je me donnais que cette foutue môme remonte au Löwen !… je sentais pourtant que c’était sérieux, elle et ses espiègles copines !… lutines voyoutes plein la Gare !… je pouvais demander du renfort, la Prévôté !… j’aimai » pas avoir recours… je pensais à mes femmes enceintes autour du piano et plein les sofas… qu’elles bâfraient et se foutaient du reste !… des femmes à six mois !… à huit mois !… des appétits doubles et triples !… saucisses, bier, goulash ! je pouvais pas leur donner autant !… les Prévôts les assommaient ! de tous les coins de France y en avait, de toutes les provinces !… pourquoi elles s’étaient sauvées ?… Siegmaringen ?… indicatrices, mouches de villages ?… pétasses de lieux-dits ? ou simplement filles d’usines, pour voyager ?… ou leurs hommes à la L.V.F.?… ou fiancées à des boches ?… peut-être guichetières de Poste Restante ?… presque toutes des certains accents… Nord, Massif Central, Sud-Ouest… pas à leur poser des questions, elles mentaient sur tout !… sauf une vérité : l’appétit… c’est pas le petit supplément de nouilles que je pouvais leur faire avoir, et la lessiveuse de raves, deux fois par semaine, qui pouvaient les rassasier ! donc c’était la Providence ces boules et « roulantes » comme à gogo !… j’allais pas les faire pincer !… tout de même… tout de même… j’avais les autres calamités !… gale, morpions, puces, gonos, poux… et que ça se les repassait ! joyeusement ! vous auriez dit la gare faite pour !… je voyais aboutir pour finir, une saloperie, un nouveau microbe, un fléau, une rigolade de tréponème, qui pousserait sur désinfectants ! un moment tout devient possible !… je les connaissais mes femmes enceintes ! elles déjà !… elles se refilaient tout ce qu’elles pouvaient, à trente, quarante, dans leur dortoir, deux par paillasse… c’était haut dans le bourg leur rue : Schlachtgasse, à l’ex-école d’Agriculture… encore ma fonction ma consigne aller me rendre compte… l’état général de ces dames… et qu’elles se grattaient les bougresses !… j’avais l’air fin moi là sans soufre, sans mercure, sans gamelles !… sans gamelles, surtout ! que des mots !… je te l’aurais vu moi l’Hamlet, philosopher les femmes enceintes ! not to be gamelles !… mais vrai je les trouvais pas souvent, presque jamais !… je bénissais le Ciel d’une façon, qu’elles aient le tel tropisme de la gare !… l’attirance de la soupe de troupe !… l’attirance aussi du piano, et heureuses ! et plein les genoux des choristes… et Lili Marlène ! et dans de ces positions peu chastes, trois quatre femmes enceintes par bonhomme ! qu’elles apprenaient le bon allemand… par Lili Marlène !… toutes ces troupes avaient les voix justes… pas du tout faussettes !… et sur trois !… quatre tons !… toute la buvette, et les plates-formes, et les « roulantes »… « l’accouchement sans douleur » je vois, leur donnez pas à bouffer sauf une gamelle en accouchant ! les miennes seraient restées dans la gare pour accoucher !… moi j’avais rien sauf les nouilles, à leur École d’Agriculture !… Brinon non plus ! Raumnitz non plus !… ni Pétain !… jamais vous verrez la troupe, soit fritz, slovaque, franzose, russe, japonaise, paouine, refuser l’écuelle !… là, le très grand côté des Armées !… quand y avait encore des casernes vous pouviez vivre des Corps de garde… dès que ça sonnait « au réveil » vous aviez ce qu’il faut à la porte… la queue des hommes dans le besoin « loquedus-la-gamelle »… ça a été remplacé par rien… ces vrais bons usages… tout se perd, remplacé par rien… maintenant hypocrite, la misère on l’envoie bouffer du papier, formulaires et des tampons… et encore plus vite ! plus pressé ! des tanks !… marmites Nacht-Nebel !…

Moi mes choristes, filles mères, cloques et troubades toutes les armes, bien tendres enlacés, me donnaient de ces concerts de choc ! de ces « ensembles », biffes, mémères, sapeurs, comitadjis, que vous retrouverez nulle part !… vous auriez vu cette buvette, parfaite harmonie, et piano !… pas une seule note dissonante ! que Maxim et Folies-Bergère sont qu’ersatz, exhibiteries de frimes à côté ! cent sous la passe ! Vénus centenaires ! Roméos moumoutes, Carusos mêlécasses phtisiques… sauteries à pleurer !… rien qu’approche de ce qui se passait à ma buvette, vingt trente trains par jour !… toute l’Europe en uniforme, et turgescente… et les prisonniers !… d’Est, d’Ouest, Nord… frontière suisse… Bavière… Balkans…

En vrai, un continent sans guerre s’ennuie… sitôt les clairons, c’est la fête !… grandes vacances totales ! et au sang !… de ces voyages à plus finir !… les armées décessent pas de bouger !… entremêler, rouler encore ! jusqu’elles éclatent… convois, locos, trains panzers !… blindés fourgons « mâles munitions » plus et encore ! pensez, qu’Hilda, les copines, avaient un peu à frétiller !… d’une arrivée de « pieds nus » à l’autre !… la viande !… je vous oubliais la horde des pauvres « travailleuses… » 200 000 Françaises en Allemagne… qui se rabattaient de Berlin, de partout, de toutes les usines, sur Siegmaringen !… pour que Pétain les sauve !… à la briffe aussi, forcément !… dès la gare !… sautaient des wagons par les fenêtres !… vous pouvez juger du nombre des personnes qu’avaient faim autour des « roulantes » ! l’affluence ! pire que notre vestibule du Löwen, pire que les W.C. !… là on faisait pipi à même, sur les banquettes… et en chantant et contre le pianiste !… « où y a de la gêne ! » jamais j’ai vu un instrument tant dégouliner que ce piano de la gare !… pourtant j’ai fait les pianos de Londres, montés suspendus sur voitures à bras, qu’étaient aussi de ces jeux d’urine !…

Oh ! mais encore une autre affaire !… je vous oubliais !… pourtant le satané arrivage !… trois trains tout bourrés de dactylos, chefs de bureau, et généraux en civil… trois trains de la mission Margotton, qu’arrêtaient pas de partir, revenir ! pour Constance !… jusqu’à l’aiguillage ! hop !… sifflet ! on s’en va ! on retourne !… un autre bifur !… interdit de descendre !… ils se sauvent, ils cavalent nu-pieds aussi !… ils sont partout !… panards pleins de crevasses !… deux mois qu’ils avaient zigzagué à travers l’Allemagne ! de bombes dans les voies en aqueducs croulés !… on voulait plus d’eux nulle part ! plus en haillons que nous encore ! les calots encore plus sortis, ce qu’ils avaient vu et passé ! dix fois ils avaient pris feu !… ils savaient plus dans quel zigzag ? sous quel tunnel ?… quelle province ? refoutu leur bastringue sur roues, eux-mêmes ! rempierré le ballast eux-mêmes ! personne les aider !… Siegmaringen, ils pensaient Lourdes !… Pétain, La Mecque ! Terminus-Miracle ! ça leur sortait les calots encore pire hors ! et à chaque portière !… vingt !… trente tronches !… ils voyaient Pétain s’amener en personne ! leur servir lui-même, de ces menus !… bien compensateurs des souffrances !… faisans, champagnes, glaces marasquin !… cigares comme ça !… mais quand ils voyaient ni Pétain, ni les couverts mis, les choses telles, pas de Père Noël, ils se jetaient aussi sur les boules !… à la roulante et aux ganetouses !… ils se faisaient raison, goulûment !… oh mais qu’ils voulaient plus remonter, refaire du train ! tout de suite au Concours, plein les plates-formes et la buvette, qui qui se tapera le plus de ganetouses !… et les plus grosses !… et tous en chœur !… et qui qui pissera au plus loin !… le plus étal ! joyeux ! joyeuses ! directeurs, dactylos, et généraux !… sustentés, rotants, chantants !… Lili Marlène !… l’air vraiment qui a fait fureur à travers tous les cyclones et les pires destructions de nations… toutes les armées d’un côté, l’autre… il faut convenir ! vous me direz : quinze ! vingt chansons furent plus entraînantes et cochonnes ! oui !… mais d’un côté, l’autre ? pardon !… Buchenwald, Key-West, Saint-Malo !… je vous attends ! le refrain mondial !… c’est rare à propos, à remarquer, que ces hommes du Centre-Europe aient pas des bonnes voix… slovènes, bulgaro-tchèques, polaks… et chansons sur trois ! cinq tons !… kif pour le piano, qu’était pourtant le pissoir fini !… c’est rare qu’il y ait pas là autour trois quatre pianistes prêts… et pas des mauvais tapeurs !… je sais ce que je cause !… et des garçons tout à fait simples… sûrement laboureurs, manœuvres, hommes de force… nous là de France, question d’être artistes, on est du verbe, du boniment, de l’envoi de vane… le cœur y est pas !… l’artiste chanteur est comme gêné, malheureux qu’on le force…

Zut, et mes considérations !… je vais encore vous ennuyer !… je vous oublie mes femmes enceintes et mes travailleuses des trains, et les S.A. mainteneurs de l’ordre !… et la mission Margotton !… bien lançais ceux-là ! à ressort ! et comment !… s’ils se plaignaient que le Maréchal était pas venu ! ni envoyé seulement personne ! comment ils allaient lui écrire ! tout de suite ! d’abord et d’un ! aux roulantes ! primum ! primum’… si la France crève ça sera pas d’atomes Z… Q… H !… ça sera de primum bouffe ! foutez Conquérants, autant de roulantes que de mètres carrés, et pive à plus soif, place de la Concorde, et ça se ralliera ! soumettra ! enthousiastes !… vous saurez plus où les mettre !… énamourés !

Les voyageurs margottons, pourtant leur train les sifflait qu’ils rappliquent qu’ils remontent ! que leur dur allait redémarrer !… salut ! zéro !… ils s’affalaient à même les voies ! sous les wagons ! que le train les écrase !… ils sabotaient !… part ?… pas ?… les S.A. hurlaient : los ! los !… que le dur parte quand même ! les machinistes qui hésitaient… les grand-mères à travers les rails !… je vous ai pas parlé de ces vieilles femmes, une autre secte… les « assistées » de notre mairie… oui ! oui ! la nôtre ! la française ! une fonction, le bureau de bienfaisance, de les envoyer bouffer ailleurs ! n’importe où ! à travers l’Allemagne… n’importe quel train !… débarrasser ! je dis « à tout hasard » !… je voyais le maire, sa grande carte au mur, toute l’Allemagne, leur choisir une destination, n’importe laquelle !… « voilà votre réquisition ! » c’était des vieilles à fils quelque part… L.V.F., Pologne, Silésie, Kriegsmarine… elles se faisaient virer, et comment ! de bombes en bifurs elles revenaient… on les revoyait à la gare… habillées en troupiers boches, en loques de cadavres… ce qu’elles avaient trouvé !… elles s’étaient déjà sauvées de France, réfugiées de la Drôme, Lozère, Guyenne… on avait brûlé leur maison, saccagée zéro !… je sais par ma propre expérience… elles revenaient, fatal, à Pétain !… pour les dames d’un certain âge, Pétain c’était la France, c’est tout… ma père aussi est morte ainsi, Pétain la France… toujours elles revenaient à pied, nu-pieds, de n’importe quel dorf, lieu-dit du Brandebourg, de Saxe, Hanovre, habillées soldates !… ah elles voulaient plus de notre Mairie !… plus entendre parler ! « dépêchez-vous ! prenez le premier train grand-mère ! voilà votre billet ! » on leur avait fait quatre fois !… dix fois !…

Si elles avaient fini en route, écrabouillées, ça se serait pas su… eh ! bougre ! combien disparurent ?… celles qui revenaient, grand-mères d’expérience, parlez qu’elles voulaient plus de billets !… rester à la gare et c’est tout ! fidèles à Pétain, à travers les rails !… avec les dames de la Mission !… le moment était venu qu’elles résistaient à toutes les menaces, matraques, pataquès… elles faisaient rigoler les roulantes comme elles s’imposaient !… leur place à personne ! une ganetouse !… une autre !… aussitôt qu’elles me voyaient de loin, fallait que j’arrive, que je les examine, la langue, le foie, la tension… je me croyais encore à Clichy… les aigreurs aussi !… il fallait que je les fasse s’étendre, que je les regarde bien… leur tâte l’estomac, l’endroit précis ! de ces aigreurs !… que chez elles à Voulzanon (Lot) le docteur Chamouin (que je devais connaître) leur avait prescrit une certaine poudre… qu’elles se rappelaient plus du nom mais qu’était vraiment merveilleuse !… (que je devais la connaître aussi).

« Oh oui ! oui ! certainement madame ! je vous en apporterai ! restez là ! restez là ! »

Je donnais bien vingt consultations, d’une banquette à l’autre… d’un ballast l’autre… et à la buvette !… plus ardu là, trop de chants !… pas seulement aux personnes âgées, aux civils et aux militaires… le piano arrêtait jamais… ni « Lili Mar-lène » !… ni les trains dehors… ni en l’air, le vrombissant manège « Forteresse »… London Munich… Dresde… mièvrerie gauloise, terreur que le ciel tombe !… un moment si tout le monde s’en fout !… ganetouse, Déesse ! merde pour le ciel ! grand-mères militaires !… mes femmes enceintes aussi ! coquettes !… de ces arrangements pour les bottes, paquets de journaux, fonds de vieux feutres et ficelles et paille qu’elles pouvaient tenir dehors des heures !… et sous la flotte ! les prisonniers, leur fort, les guêtres ! avec des pneumatiques troués… j’avais déjà vu au Cameroun, des populations entières, chaussées « pneumatiques »… au fond, c’est l’expérience qui compte… j’ai vu un peu partout dans le monde des gens se passer parfaitement de chaussures… après la bombe H… V… Z… vous verrez un peu ces génies !… ces ingéniosités conjointes Manhattan-Moscou !… la bombe est qu’un moment de colère tandis que la question de bottes est vraiment le permanent problème ! là toujours, ce qu’était essentiel, c’était de ramener la petite Raumnitz… je pouvais faire attention au père !… tout était périlleux extrême ! le ciel je vous dis, l’habitude !… ces escadres au ras de la gare et du Château, que d’un geste, d’un seul petit doigt, ils auraient pu nous tourner torche, nous, les aqueducs et tous les trains de troupes !… une bombe !… toutes les munitions éclataient !… on avait vu Ulm !… Ulm leur avait pris un quart d’heure !… moi l’instant, c’était pas la grande stratégie, c’était qu’Hilda rentre chez son père ! je l’avais appelée vingt fois ! Hilda ! je pouvais y aller ! le mieux, la résolution : les S.A. !… tout le monde à la route ! vider les plates-formes, la buvette, les rails ! après, on verrait ! oh mais tout de suite ça se rebiffe ! crie ! « S.A., faites sortir tout le monde ! » je vous ai raconté les S.A… de ces énormes armoires à muscles, et méchants butés, fronts de gorilles et des pristis de Mauser comme ça ! modèle « canon de poche » !

« Franzose ? Franzose ? »

Ils me demandent.

« Nein !… nein ! Obersturmführer von Raumnitz. »

Je veux pas qu’ils hésitent, oh ! ils hésitent pas !… la buvette d’abord ! « Raus ! raus ! » les femmes enceintes sur les genoux et leurs peloteurs ! « Raus ! raus ! »… et plein les sofas, de ces entremêlements de tendresses !… ça s’extirpe, mais ça jure et menace !… en hongrois… bulgare… plattdeutsch !… toutes les armes… fantassins, sapeurs, et la Todt… et les prisonniers yougoslaves… pas contents ! et pas contentes ! surtout les demoiselles réfugiées… jambes en l’air !… des Lituanes, très blondes, blanches presque argent !… je me souviens bien d’elles… qu’elles savaient aussi déjà tous les chœurs des troupes et des gares… à trois, quatre voix !… la ! la ! sol dièse ! oh ! mais ça se désemmêlait pas ! et personnes réfugiées de Strasbourg ! Lili Marlène ! et comment ! le piano ! les chœurs redonnent confiance ! pipi ! et la bier ! et les genoux ! et les gros nénés !… la ! la ! sol dièse ! en plus la mission Margotton, graves directeurs et dactylos qui se retrouvaient plus d’une porte l’autre à se chiper les boules et saucisses ! espiègleries ! et les lorgnons ! je voyais ça allait faire vilain !… les grand-mères couchée sur les rails qui faisaient semblant rien comprendre… c’était vraiment le très grand désordre, et j’avais beau dire, j’étais cause ! qu’avais alerté les S.A. ! j’aurais dû rien dire ! maintenant une pagaille et boxon ! ramponneaux ! qui qu’allait sortir des buvettes ?… S.A. ? les filles ? les militaires ? gifles et marrons ! et le piano, alors ?… et les roulantes ? qui qu’aurait la loi ?… je voyais venir le choc, que ça serait un tabac au sang !… fatal !… Marlène pas Marlène !… moi c’était qu’une chose, qu’Hilda remonte là-haut ! son père, mon souci !… que sa fille se trouve malmenée j’en entendrais un peu des vertes !… ma faute de quoi ?… c’est pas Brinon, ni Pétain qui diraient mot !… ni Bucard, Sabiani ni le reste !… j’ai la tronche à être responsable, j’y prête ! de tout !… que tout le monde jouit bien comme je suis nave, comme j’écope que toutes les horreurs me foncent sus ! que c’est un beurre et qu’eux réchappent !… une affaire, Ferdine ! le Raumnitz von Oberführer, était vraiment le boche à se méfier ! et que j’étais en quart ! j’allais le voir deux, trois fois par jour…

Tout de même là, buvettes et plates-formes », les S.A. forcent que ça déblaie ! à la Marlène et d’autres chansons !… piano joue plus !… bureaucrates… grand-mères et troubades bras dessus, bras dessous, puisqu’on les tarabuste ! salut ! monôme ! et en ville !… et les ménagères fritz aussi ! du bourg ! qu’étaient venues elles voir en curieuses !… bras dessus, bras dessous !… je me consolais : ça ira ! j’avais l’Hilda et les copines !… les S.A. faisaient bien leur boulot, s’il y avait pas eu l’incident ! mais » tout d’un coup ptaf ! je me dis : ils ont tiré ! ça y est !… c’était les S.A., les douze, qui séparaient les femmes des hommes !… scindaient leur monôme ! vous pensez ! refoulaient les hommes vers la gare, les femmes vers le bourg !… là fatal ! bang ! vlang !… les gamelles volent ! je me dis : Ferdinand t’es cuit !… j’avais pas pris part !… encore deux coups !… et tout silence ! qui qu’a tiré ?… oh ! c’est pas loin ! oh ! je vois… un fritz par terre !… j’y vais !… tous autour déjà… c’est un S.A. qui a tiré… il avait son compte, l’abattu !… par l’orifice de la balle un jet de sang du dos… par pulsations… et par la bouche, glouglous de sang… un fritz d’un train blindé de la gare… camouflés comme ils étaient, uniformes caméléons… sa caméléonerie trempée rouge… il se vidait de sang plein la chaussée… pas eu le temps de faire ouf !… tiré dans le dos !… je m’approche, je lui prends le pouls, j’ausculte… fini !… rien ! bon ! y a plus qu’à remonter… oh ! mais qu’ils se remettent à parler ! jacasser là autour tous !… et pas doucement ! ils jugent !… et que les S.A. sont des pires brutes ! et que c’est la fin de tout ! pires anthropophages que les Sénégalais de Strasbourg ! et que c’est béni qu’ils arrivent les anthropophages de Strasbourg et les fifis du Vercors ! qu’on les embrassera !… ils les connaissent, ils ont eu affaire à eux ! ils ont traversé leurs maquis ! ils peuvent comparer ! Vive les fifis ! les cris que pousse la foule ! Vive les Russes ! moi là, je vois là, c’est que les ménagères, femmes enceintes, troubades, fous d’élan, vont se jeter contre les S.A., charger ! alors que cette fois c’est la gibelotte ! ça sera pas qu’un mort !… là je peux dire, encore historique, c’est Laval qui a tout sauvé ! s’il était pas survenu, juste, c’était la rafale et c’est tout !… mais heureusement, juste il sortait !… il sortait avec sa femme !… jamais en même temps que Pétain !… comme lui le Danube, mais sur l’autre rive… il descendait donc vers la gare… heureusement ! sans Laval pas un réchappait ! il s’approche… je le vois encore… il me voit, il me fait, il se rend compte…

« Docteur, c’est fini ?

— Oh oui ! Monsieur le Président… »

Il connaissait les attentats, il avait eu le même à Versailles, pas au pour, au vrai, radios… il souffrait toujours de la balle… il était très brave… il haïssait les violences, pas pour lui, comme moi, que c’est décourageant, ignoble… moi qui l’ai traité de tout, et de juif, et qu’il le savait, et qu’il m’en tenait vachement rigueur que je l’avais traité de youpin, proclamé partout, je peux parler de lui objectivement… Laval était le conciliant-né… le Conciliateur !… et patriote !… et pacifiste !… moi qui vois que des bouchers partout… lui pas ! pas !… pas !… j’ai été le voir chez lui, son étage, des mois, il m’en a raconté des chouettes, et sur Roosevelt et sur Churchill et sur l’Intelligence Service… Laval, ce qu’il cherchait, il aimait pas Hitler du tout, c’était cent ans de paix… il tombait pile là pour la paix, le Fritz sur le dos !… je l’avertis…

« Monsieur le Président il n’y a que vous ! les S.A. sont plus à tenir ! ils vont tout tuer ! »

C’était un fait !… campés les douze !… mausers sur nous ! Laval veut d’abord se rendre compte de lui-même, il va au mort, sous les S.A., il se penche, il enlève son chapeau, il salue… les autres autour, aussi saluent… comme lui… le trèpe autour… les femmes font des signes de croix, les S.A. au garde-à-vous.

« C’est fini Docteur ?

— Oui, oui, monsieur le Président ! »

Alors il s’adresse à la foule.

« Allons ! maintenant rentrez chez vous ! tous ! suivez le Docteur ! »

Il s’adresse à moi.

« Vous Docteur, vous remontez au Löwen ?…

— Oh oui ! Monsieur le Président !… et les dames à leur dortoir, à l’école d’Agriculture !…

— Vous les conduisez ?

— Oui ! oui ! Monsieur le Président !… et la jeune fille Hilda là, à son père !…

— Qui, son père ?

— Le Commandant von Raumnitz…

— Von Raumnitz… bon ! bon !… »

De voir Laval et sa femme qu’étaient à parler gentiment, pas fiers du tout, avec toutes et tous, dépassionna net l’émeute !… ils regardaient même plus les tueurs !… ni le mort ! Laval, sa femme, qu’étaient l’intérêt… ils profitaient… l’interroger !… si ça serait bientôt fini ?… si les Allemands gagneraient ? perdraient ?… il devait savoir !… lui ! il devait savoir tout !… mais ils lui laissaient pas le temps de répondre !… les réponses pour lui ! avant lui !… que c’était le Forum, autour de lui Laval… la Bourse ! autour de Laval et Madame !… égosillerie générale ! chacun raison ! qu’il avait pas compris ci ! ça ! qu’il pouvait admettre ! qu’il admettait pas ! Laval aussi c’était le têtu ! l’homme du dernier mot !… Chambre ! Forum ! poteau !… l’électeur lui faisait pas peur !…, ce que je voyais ce qui m’arrangeait bien c’est que tout ça, bafouilleurs, filles mères et Laval Madame remontaient au Löwen !… que personne tournait aux trains, ni à la buvette !… toujours ça !… ils interpellaient trop Laval, ses revers de veston, se pendaient après !… qu’il admette qu’il s’était gouré ! qu’eux ils savaient tout ! le fin du fin !… Laval pourtant un avocat ! et Président du Conseil… et qu’avait toujours eu raison ! il se trouvait ses maîtres, forcé d’écouter ceux qui le tiraillaient par les manches, lui écrasaient à dix les pieds ! qu’il s’en foute pas !… qu’il tienne bien compte ! c’était autre chose qu’Aubervilliers ou la Tribune !

Tout ce que je voyais c’est qu’ils remontaient !

Il avait trouvé, Laval qui se croyait le fameux plaidoyeur, pas une !… cent filles mûres ! ménagères, tourneuses, et réfugiées de Strasbourg… de la Lozère… et des Deux-Sèvres, qu’en savaient un peu plus que lui !… et qu’il avait plus qu’à apprendre !… que ç’aurait été la Chambre il aurait pas eu son scrutin ! je l’ai vu, lui, je peux dire, Laval, remonter de la gare, sous les conseils, répondant plus que « oui… oui… oui… » de la gare au Löwen… submergé… jacasserie totale !… meeting total !… pas de violence !… pas de coups !… que de la véhémence politique et des explications nourries ! pourvu que ça remonte vers le bourg ! ce que je voyais !… que ça s’avise pas de retourner ! reflue pas !… oh ! mais le Laval, là, le génie !… il manœuvrait par « Oui… oui… oui »… il les emmenait discutailleurs… acharnés qu’il écoute encore !… vraiment il a sauvé la mise !… pas qu’à moi, à tous à la gare, et en remontant !… c’était un poil, en position que les S.A. fassent pas feu ! tirent ! étendent tout ! c’est Laval qu’ils ont pas tiré ! qu’il s’est laissé interpeller, pendre à ses revers ! qu’a eu l’air vaincu par les arguments, qu’ils se sont trouvés devant le Löwen devant le Stam, la bier et les chiottes… ah ! qu’ils se sont rués sur les tables ! d’autres stams ! d’autres gamelles ! tous et toutes ! l’Herr Frucht qui barrait la porte voulait pas que les femmes enceintes entrent, qu’elles avaient qu’à remonter briffer chez elles ! Schlachtgasse ! là-haut ! révolte encore !… parlementerie qu’il a fallu qu’elles acceptent de décoller, sortir de la porte, avec chacune un kilo de miel synthétique !… les grossesses c’est les sucreries !… tout de même l’attroupement s’est dissous… ils ont laissé Laval en plan… Laval, sa femme… il a juste eu le temps de me dire :

« Docteur ! vous viendrez me voir, n’est-ce pas ? »

Ils remontaient chez eux, au Château… moi, Hilda et les copines, et Lili, tout de suite chez Raumnitz !… Aïcha nous attendait…

« Le Commandant est sorti… avec les chiens… il est à la gare… »

Elle dit rien que j’aie ramené la fille… elle lui parle pas… je trouve pas l’accueil du tout aimable… mais le von Raumnitz à la gare… c’était sûrement pour l’enquête… il savait ce qui s’était passé !… c’était son métier de savoir tout de suite… tout ! surtout depuis le coup du bois de Vincennes, la mutinerie… je vous raconterai…

 

 

Un moment, à la fin des fins, ce perpétuel carrousel grondant fulminant, cette pétaraderie de « forteresses » au ras des toits… toute cette idiotie ronchonnerie tonnerre vous attriste… c’est tout !… le résultat… la mélancolie que ça vous donne… l’accablement… des gens deviennent neurasthéniques qu’ils ont pas assez de distractions ?… sous les carrousels R.A.F. pas une minute à réfléchir !… sirène !… sifflets !… et encore rafales !… une autre vague de mosquitos !… tout ce trafic du plus haut que les nuages… looping !… looping !… jusqu’en bas… jusqu’à la chaussée… et virevolteries !… et relances !… et sans cesse !… vous donne une de ces envies de retourner chez vous !… mais vous avez plus de « chez vous » !… ah, not to be ! be ! vous êtes coincé par le sort !… pris dans l’étau !… vous avez pas fini de rire !… vous débattre et récriminer ! à plus savoir !… not to be crotte !… que vous êtes fait !… enfin d’une façon !… rire contraint… rire jaune… je vais vous raconter la suite… s’il se peut ! je suis moi-même, pas besoin de vous dire, l’âge, le crime des hommes, et tout, bien plus à me faire oublier, finir dans mon coin, qu’à m’évertuer de vous présenter des personnes, branquignols, femmes, choses, peu prou pas croyables !… le coup de La Publique a suffi !… je crois ! je vais pas aller encore pour vous dans ces contrées de-ci !… de-là !… peu, prou presque pas avouables… non !… mais si vous êtes pris dans l’étau… pris par le sort… vous vous dégagez prou ou mal !…